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Le contrôle subtil
Par François Serre, Psychothérapeute (14 décembre 2003)
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Le contrôle subtil
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Le corps et l'esprit ; la formulation est déjà un aveu. L'aveu d'une séparation quasiment consommée en occident. Toutes les techniques de travail sur soi visent à un niveau ou un autre l'unification de l’être, ce qui paraît aller de soi. Pourtant, vouloir faire quelque chose avec son corps ou avec son esprit, remodeler, renforcer, assouplir le corps, réguler ses émotions, contrôler ses pensées, tous ces ’ vouloirs ‘ sont l’écueil principal à tout espoir de vivre sa véritable nature unique et harmonieuse. 

Sans être des intellectuels forcément, beaucoup d'entre nous sont des cérébraux. C'est aussi l'époque qui veut ça. Notre civilisation technologique nous a grandement aidés à nous libérer de nombreux efforts physiques. Nous passons notre temps à discuter, spéculer, regarder la télévision, lire, utiliser des ordinateurs... etc. 
Et pendant ce temps, nos muscles se nouent, des douleurs chroniques et autres crampes apparaissent 

Au-delà du recours au sport, le yoga, de nombreux arts orientaux et des approches corporelles variées nous permettent d’envisager les choses autrement. Ils sont porteurs de données différentes, de conceptions élaborées, parfois multi-millénaires, sur le fonctionnement corps-esprit, sur l'énergie et sa circulation, concepts quasi inconnus en occident. Ils apportent aussi une dimension spirituelle que l’on peut plus ou moins utiliser à son gré.
On assoupli son corps, on fait baisser la charge, on passe des asanas plus ou moins sans mal, on apprend des katas, on lâche du lest. Pour beaucoup c’est la solution. Et ce n'est pas tout à fait faux, mais, certains pièges sont là. Et parmi ces pièges, le plus subtil : vouloir faire quelque chose de soi.

On pense, en réalité, que si on parvient à développer et maîtriser son corps, on en retirera du plaisir et du pouvoir. Quand on s'aperçoit que ça ne marche pas vraiment, on se tourne vers les émotions et on tente de gérer son stress. On arrive d'ailleurs à se satisfaire de gérer. Gérer quelquefois des déséquilibres étroits et fragiles. Ce que nous gérons en réalité, c'est notre propre séparation, plutôt nos propres séparations. Séparations entre corps et esprit, entre esprit et émotions. Nous ne voyons ou n’acceptons pas toujours que notre propre corps soit lui-même séparé en différentes parties : tête et corps, haut et bas, intérieur et extérieur. Mais pourquoi et comment nous séparer pour ensuite tenter plus ou moins vainement de nous réunifier. 

L'être humain a ceci de particulier qu’il vient au monde particulièrement dépendant de son environnement et cela durera pendant des années. C'est la contrepartie d'une adaptabilité exceptionnelle dans le monde animal. Ceci étant, son développement n'est pas si évident.
C'est un peu comment un arbre. Sa nature à prévu qu'il pousse droit vers le ciel, qu’il déploie ses branches et ses feuilles et suive le cycle des saisons. Si un rocher gêne sa croissance, il poussera tordu. S’il doit subir une saison anormalement sèche et froide, il grandira moins. Pour l'homme c’est pareil, mais lui, il a quelque chose de différent, sa conscience. Et c'est cette conscience qui peut lui permettre de se redresser s’il est tordu. 

Notre histoire est parsemée de rochers de saisons sèches ou froide, et à chaque fois, nous avons fait quelque chose, ce que nous avons trouvé, ce que nous avons pu, pour s'adapter. Ce qu’il en a résulté, ce sont ces multiples séparations en nous même. Les rochers ne sont plus là, mais leurs effets si. Les coupures sont une arme contre les émotions et souvenirs de l'enfance. Et tout ça était nécessaire pour permettre le développement de l'ego, pour qu’il puisse assurer son rôle de médiateur entre les exigences de l'instinct et celle de l'environnement. 

C'est comme si, à certains moments, on avait du mettre de coté, refouler certaines émotions, certaines pensées, car elles apparaissaient dangereuses à exprimer dans l’environnement existant à l’époque. Et c'était peut-être vrai, entre réalité et fantasme, l'appréciation du danger extérieur est souvent difficile, d’autant plus pour un enfant. Ce sont même des fonctions entières qu’on a oblitérées, mises entre parenthèses. En agissant sur la fonction, on agit sur la perception à la source. Ainsi la posture, la vision, la respiration, la sexualité, peuvent être altérées, réduites déviées. 

Nous agissons sur notre corps en posant des contractions, en créant des tensions. Le corps est toujours disponible en dernier recours, quand on ne trouve pas d'autres solutions. Le problème n'est pas de se tendre, mais de garder la tension. Souvent, nous rencontrons des contractions chroniques des muscles entourant le cou ou les épaules, cela sépare la tête du cœur et de notre besoin d'être aimé, entre autres, cela peut aussi affaiblir les bras, les mettre sous contrôle pour éviter toute expression de l'agressivité. La zone autour du diaphragme aussi est souvent utilisée, souvent pour séparer cœur et tête des désirs sexuels. Ces défenses solides et résistantes nous les créons aussi nécessairement envers et contre nous et par leur essence même elles deviennent inaccessibles. 

Elles prennent la forme d'une sorte d'armure que le psychanalyste w. Reich a décrit dans les années 30 comme une succession d'anneaux inter reliés qui vont du sommet de la tête jusqu'au bassin. Ainsi, on peut ‘bloquer’ ses yeux, bloquer ses mâchoires (on consomme du chewing-gum pour faire baisser la tension, bruxisme) bloquer son cou (douleurs cervicales variées), ses épaules (trapèzes douloureux), son thorax (trop développé, inégalement, en creux, oppression), son diaphragme (boule à l'estomac), son abdomen (le bedon), son bassin (sexualité, sécurité) 

L’armure prend une autre forme plus difficile à saisir, plus douce. Sur certaines zones de tension, peut se déposer une couche de graisses plus ou moins chargées d'eau. On le voit surtout autour du ventre, du bassin et en haut des cuisses. Cela donne le bedon, les bouées, la peau d'orange la cellulite, la culotte de cheval. Ce sont des couches de tissus protecteurs doux en surface, mais en dessous d’autres couches sont contractées et immobiles. 

Cela correspond à deux facettes du moi, un moi intérieur souvent en contact avec la peur et la colère, et un moi extérieur vulnérable et parfois plaintif. Le moi, lui aussi a besoin de se séparer en deux, de laisser une partie en contact avec les émotions et les souvenirs internes et l'autre avec ce qui se passe à l'extérieur. Pour chacun cela se révèle à la fois par une disposition particulière des couches tissulaires dans le corps et des traits de caractère particuliers. C’est une représentation des contradictions engendrées par la différence entre ce qui sourd à l'intérieur et à l'image qu’on veut donner de soi à l’extérieur. L’image des émotifs ‘rentrés’ nous est familière comme exemple. Pourtant au-delà de toute séparation défensive, quelque chose reste entier. 

L'expérience que l'on fait du monde ne peut prendre forme que dans un seul lieu où l'expérience du corps et l'expérience de l'esprit ne font qu’une. Il n'y a pas d’intérieur et d’extérieur, de haut et de bas, de droite et de gauche, de corps et d'esprit, il y a une expérience unique qui sollicite toutes les fonctions. Nous ne pouvons pas diviser cette perception primitive en la manipulant.
Il y a deux manières d’intervenir sur cette expérience.
En empêchant qu’elle ait lieu : il suffit de restreindre ses capacités perceptives. Par ex. : je me rends sourd en bloquant un muscle de l’oreille interne, je me rends myope en agissant sur la musculature autour de mes yeux … etc. . 
Je peux aussi scinder l’expérience après qu’elle ait eue lieu. Ce n'est que dans ce second temps que nous pouvons faire passer au premier plan certains aspects plutôt que d'autres et compartimenter l'expérience se privant ainsi de notre capacité à saisir globalement la réalité. 

Pour retrouver cette capacité transversale, il n'y a qu'une solution, qu'un seul choix, vivre l’expérience s’y soumettre, l'accepter telle qu'elle se présente. Reconnaître les lois du monde. Quant on découvre cela, quand on l’entrevoit, la peur apparaît, car cela suppose d'abandonner tout contrôle sur soi-même et du coup, aussi sur les autres. Or la perspective d'abandonner nos multiples points de contrôle interagissant, nous met devant l’idée de n’être nulle part, d'être un bateau à la dérive, de devenir le jouet des événements, une marionnette de la vie. 

C’est extraordinaire de penser que cette peur là est justement la représentation de ce qui nous arrive lorsque nous contrôlons. Les forces de l’univers, comme des flots impétueux, ne s’embarrassent pas de fétus de paille qui veulent aller à contre-courant, par contre, elles portent au loin ceux qui acceptent son sens. Cette peur n'a pas de raison d'être, disons que c’est l’ultime ligne de défense, croire que l'on peut se perdre si on ne contrôle plus. 

Quand on commence à faire fondre la cuirasse, à y renoncer, quand on commence à se réunifier, tous les aspects de la vie se transforment et puis se dévoile un centre. Un lieu qui combine stabilité et capacité d'action. Les orientaux en parlent beaucoup de ce centre. Centre du mouvement, de la transformation de l'énergie, centre de l’être, hara, dan-tien. Quand il apparaît, on peut entrevoir un mouvement naturel qui fait découler toute attitude de la précédente. Qu'il s'agisse de postures, d’émotions, de pensées ou d'actions, tout s'écoule harmonieusement relié. . Par exemple je m’autorise à ressentir la peur et celle-ci est remplacée par l’agressivité qui m’emmène à son tour dans une action où elle s’épuise. Des pensées font naître de la tristesse qui m’amène à ouvrir les bras ou poser une main sur une épaule et elle se transforme en une douce joie d‘être et de ressentir ensemble. 

Lorsque la transformation se stabilise, on voit qu’elle s’est produite dans toutes les dimensions de l’être en même temps. C’est alors qu'elle redéfinit littéralement toute notre vie. Le corps et l’esprit s'intègrent de plus en plus. À partir du centre, on peut alors découvrir une nouvelle liberté et … la responsabilité qui va avec. C’est à partir de là, aussi, qu’on peut continuer une évolution consciente et ordonnée.

En même temps que le centre nous apparaît, notre sensibilité à toutes sortes de choses s’éveille. On devient plus sensible à sa posture, aux positions que l'on prend. On supporte moins l'alcool, on se lasse du tabac, on ressent les effets du café, on devient plus conscient de sa manière de dormir, de ses habitudes alimentaires. Dès ce moment, les effets des plantes de l’homéopathie, de toutes les disciplines énergétiques, deviennent nets et flagrants. Il nous faut apprendre de nouveaux comportements pour garder "la forme". 

Cette forme, prend d'ailleurs un nouvel aspect. C'est la joie et le plaisir d'être et de faire, se lever le matin, se coucher le soir en, savourant l'instant qui passe et d’être là. Cette transformation guidée par le biologique nous amène à considérer différemment nos activités et nos occupations. Nous devenons plus conscients de notre place et de nos désirs authentiques et cela nous rend plus exigeants. Nous découvrons alors qu’il nous incombe de nouveaux apprentissages. C’est comme si l’on découvrait le monde.

Nous devons réajuster nos paramètres environnementaux, nos attitudes, mais de manière fine, plus question de décision brutale plus ou moins violentes, de sevrage, de régime, de décisions tranchées et volontaires. Non, c’est fini, c'est autre chose, nous comprenons que les grands équilibres de notre corps tiennent à une conscience fine de son fonctionnement et que cela va de pair avec ce qui se passe dans notre tête. Et que cet ensemble, que nous sommes, influe aussi sur l'environnement, simplement par ce qu'il est, avant de le faire par ce qu'il fait. Et la nécessaire obligation de rendre conforme nos actes à nos pensées, émotions, sensations apparaît. C’est l’ajustement de précision. 

Dans les groupes humains, on s'aperçoit qu'il existe une identité de groupe différente de la somme de ses parties. Cette super conscience groupale a des exigences propres qui peuvent faire le malheur des individus qui sont pourtant à sa base. Nous rêvons de sociétés en harmonies et en équilibres qui guident leurs membres vers leurs réalisations. Il nous faut reconnaître que cet équilibre et cette harmonie reposent à contrario, sur la capacité des individus qui les composent à trouver leur centre et qui sont conscient de leurs besoins véritables.

Dans notre recherche du bien-être, du bonheur et peut-être de sens à notre vie, nous pouvons-nous engager sur bien des chemins. Beaucoup d'entre eux peuvent nous faire avancer ; certains nous ouvrent des perspectives vertigineuses. Mais, quelque soit notre ambition, nous sommes tous un jour ou l'autre confronté à un obstacle subtil : le désir de nous contrôler, de nous manipuler nous-mêmes, qui est le produit de notre propre dissociation. Il est facile d'énoncer ce qui est nécessaire : reconnaître et accepter notre vraie nature. Il est moins facile d'y parvenir. Certaines formes de psychothérapies et de nombreuses voies orientales permettent de s’en approcher de très près, voire d’y parvenir. Ces voies ne sont d'ailleurs pas forcément contradictoires, mais au contraire complémentaires. L'état d’éveillé semble en effet pouvoir être un aboutissement de cette quête unitaire. Un état qui n'est pas un état spirituel ou "divin", mais au contraire un état suprêmement humain.

François Serre
Psychothérapeute

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