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Remarques méthodologiques 
sur l’évaluation des psychothérapies, selon le rapport INSERM 2004

Par Françoise Zannier
Doctorante en psychologie clinique, Paris, France

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Remarques méthodologiques
sur l’évaluation des psychothérapies, selon le rapport INSERM 2004

« Les savants croient se libérer de la philosophie en l'ignorant ou en la vitupérant ...Ils ne sont pas moins sous le joug de la philosophie, et la plupart du temps, hélas, de la plus mauvaise. Ceux qui vitupèrent le plus la philosophie sont précisément esclaves des restes vulgarisés des pires doctrines philosophiques ». Engels (F.) (9, p.211), Dialectique de la nature, Éditions Sociales, 1975.

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Le rapport INSERM est une expertise sur l'évaluation des psychothérapies, qui s'inscrit dans la démarche quantitative-expérimentale. Le choix méthodologique s'est porté sur une synthèse de la littérature internationale existant dans le champ évoqué, sous la forme de meta-analyses et d'études contrôlées.
Pour les auteurs de ce rapport, la seule démarche scientifique authentique est explicitement la démarche expérimentale (études reproductibles, réfutabilité c'est à dire testabilité, sont les maîtres-mots de leur approche). [1]
Dans ces conditions, un premier problème est qu'ils ne voient apparemment pas, que ce point de vue recèle un choix épistémologique fondamental … car en effet, en sciences, le réalisme n'est pas l'instrumentalisme, et le positivisme n'est pas le constructivisme …

Se référant à Karl Popper, les auteurs précisent que " la testabilité implique une méthodologie susceptible de démontrer qu'une hypothèse ou une théorie est vraie ou fausse...." [2]
Ainsi, Il est clair que leur conception est une conception réaliste, qui considère que les hypothèses et les théories sont des représentations vraies ou fausses de ce qu'il y a dans le monde.
En cela, elle se situe à l'opposé de la conception instrumentaliste, qui voit les théories scientifiques comme de simples outils explicatifs et prédictifs, qui sont en eux-mêmes dénués de toute valeur de vérité. [3]. C'est un premier point important.

En second lieu, il est à préciser que la démarche positiviste à laquelle s'apparentent les sciences expérimentales, prétend pouvoir expliquer et prédire les phénomènes étudiés, à partir des principes et des critères des sciences naturelles ou physiques … ce n'est pas le cas du constructivisme.
le constructivisme social conteste la revendication positiviste d'atteindre une connaissance générale fondamentale et objective du monde grâce à la méthode des sciences naturelles. Il affirme que la connaissance est toujours déterminée en partie par le contexte culturel et subjectif du sujet connaissant... « Tout phénomène ne doit-il pas déjà être une entité construite pour accéder au statut scientifique ? Si ce doute est fondé, on peut se demander si la conviction selon laquelle la science est suspendue à des observables, n'est pas ce qui empêche de reconnaître ce qui se passe réellement dans le travail de connaissance à l'œuvre dans la science ». [4]

En l'occurrence, pour le formuler autrement, une hypothèse auxiliaire [5] essentielle des études prises en compte dans le rapport INSERM, est que les effets des psychothérapies découpés en variables (c'est-à-dire en autant d'objets qui "écrasent" les significations auxquelles ils renvoient…), sont posés comme étant susceptibles de nous renseigner sur la valeur des psychothérapies. 

Or, une des questions essentielles dans les sciences humaines est de savoir et de justifier, comment à partir de significations, on peut former des objets. Car en effet, un comportement humain détaché de sa fonction signifiante cesse d'être humain [6] ... 

En tout état de cause, il ne saurait y avoir de réponse unique ou univoque à cette question ... mais quoi qu'il en soit, le choix positiviste inhérent au rapport de l'INSERM, relève d'une position épistémologique qui fait partie des présupposés de la conceptualisation et de la méthodologie en découlent.

Il ne s'agit donc pas d'une position scientifique en soi, mais d'une position philosophique sous-jacente à la méthode utilisée.
Cette position ou plutôt ce choix, n'est ni le seul possible, ni le seul représentatif de "la Science".
C'est donc par erreur que dans le rapport INSERM, tout ceci est présenté comme allant de soi, étant donnés les présupposés inhérents à ce rapport, comme à toutes les études prises en compte.

Dans le même sens, malgré toutes les précautions et autres explications dont s'entourent les auteurs, les psychothérapies sont considérées, in fine, comme des instruments, des "objets" pouvant être évalués en eux-mêmes, via leurs effets ..., ceci indépendamment des acteurs et de tous les paramètres non contrôlés des situations en question.

La question revient donc sous une autre forme … comment une catégorie de psychothérapie, et partant une école de pensée, peut-elle être jugée ou considérée comme "un objet" évaluable et mesurable à souhait? 

Car en effet, malgré toutes les réserves posées par les auteurs, qui évoquent notamment la différence entre sciences idiographiques et sciences nomothétiques, tout se passe "comme si" la formulation de ces réserves n'était faite que pour mieux les oublier dans la démarche même du rapport, et dans les conclusions des études sur lesquelles il s'aligne ...

Tout cela étant, nous ne voulons pas bien sûr nier la nécessité de l'évaluation des psychothérapies à grande échelle, considérée comme auxiliaire de décision pour les politiques de santé des pouvoirs publics.

Nous ne voulons pas non plus dénigrer l'importance du rapport en question et des études présentées, encore que leur principal intérêt ne réside pas nécessairement dans leur but officiel .
Quoi qu'il en soit, il convient dans tous les cas de rapporter les choses à leurs différents contextes (social, politique, philosophique, voire idéologique, institutionnel,,...) et de relativiser les résultats.
Enfin, toutes proportions gardées, il est nécessaire de voir ou au moins d'entrevoir en quoi les choix retenus occultent une grande partie des réalités qu'ils sont censés décrire et des faits qu'ils ambitionnent d'évaluer, si ce n'est la plus importante ...


NOTES
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[1] Rapport Inserm, Editions Inserm, 2004, p.12
[2] ibid., p.12 
[3] S. Chauvier, Réalisme scientifique et réalisme des universaux, Université de Caen, Association des Professeurs de Philosophie de l'Enseignement public( www.appep.net)
[4] P. Ricoeur, Ontologie, Encyclopédie Universalis 2004.
[5] cf l'hypothèse Duhesme-Quine, selon laquelle tout résultat expérimental dépend de la vérité ou de la fausseté de l'hypothèse principale mise à l'épreuve, mais aussi de tout un ensemble d'hypothèses auxiliaires qui portent sur la situation expérimentale, les appareils, le dispositif d'observation et de mesure, etc..,
[6] Gilles Gaston Granger, Epistémologie, Encyclopédie Universalis 2004.
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