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. Louise Grenier est membre de l’Ordre des psychologues du Québec. Elle est psychothérapeute et psychanalyste en pratique privée, et chargée de cours au département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal. Elle a rédigé de nombreux articles et participé à plusieurs ouvrages collectifs portant sur diverses problématiques féminines. Elle a écrit Les violences de l'Autre. Faire parler les silences de son histoire (2008) et Femme d'un seul homme. Les séparations impossibles (2006). PRÉSENTATION DE L'OUVRAGE «Père, où es-tu? Père, m'aimes-tu?» À un moment ou à un autre de sa vie, quelle femme ne s'est pas sentie abandonnée, voire rejetée, par son père? Rarement là où il est attendu, trop souvent absent, il semble se dérober à l'amour de sa fille. Est-il inévitable qu'il déçoive? RÉSUMÉ Dans mon travail de psychologue et psychanalyste, j’ai souvent constaté que les femmes parlent peu de leur père. Le plus souvent, c’est la mère qui occupe le devant de la scène. Le père est passé sous silence. Le père tu, n’est-ce pas un père tué psychiquement ? Objet d’un tabou ? Ou d’une haine inavouable ? Mais comment tuer le père ? Il semble immortel et son meurtre toujours à recommencer. Il reste en suspens dans l’imaginaire féminin, en attente d’être perdu. Et l’attente n’est-elle pas toujours le signe d’une absence ? Toutefois, gardons à l’esprit que le père raconté dans une cure ou dans la fiction est essentiellement une représentation. En vérité, il échappe au savoir objectif. C’est pour cette raison que la voie suivie ici est à la fois celle du témoignage et de la fiction, du récit biographique et de la mythologie qui permettent d’accéder à une vérité vécue par plusieurs femmes. Il s’agit d’explorer les significations et effets de l’attente du père à partir des discours féminins. L’image paternelle en sort inévitablement déformée, transformée, triturée par les pulsions amoureuses et haineuses de sa fille. Répétons-le, l’absence du père n’est pas une maladie. C’est un fait objectif ou subjectif qui sera vécu diversement selon les individus, les circonstances et les époques. Et une présence n’offre pas une garantie de santé mentale ! Tout est dans la manière d’être ou de ne pas être père. Pourquoi ? Le « père » comme symbole et comme représentation doit s’inscrire dans la vie psychique de la fille. Autrement dit, il ne suffit pas d’avoir un père dans la réalité extérieure pour en avoir un à l’intérieur de soi. Il faut qu’il puisse occuper sa place dans le triangle œdipien, au sens de se poser comme objet de désir et de rivalité, en même temps qu’il représente la loi prohibant l’inceste. Le père est toujours plus que lui-même, toujours plus que sa personne réelle, il est un médiateur du champ culturel et en ce sens, il est l’au-delà de la mère et la condition de l’existence du sujet. Dans ce livre, des présentations théoriques suivies d’exemples introduiront le lecteur aux conséquences psychologiques de l’absence et de l’attente du père. Les expériences vécues par les« filles sans père » sont complexes et souvent douloureuses. Le point de vue présentée ici est forcément condensé sans être réducteur. J’ai défini sept axes de réflexion avec un accent particulier sur les échecs et vicissitudes de la vie amoureuse féminine. Ce sont :
Le choix des thématiques s’inspire des questions qui me sont les plus souvent posées dans mon travail de psychologue et d’enseignante. Quels sont les effets psychologiques de la perte du père ? Comment surmonter le traumatisme d’un inceste paternel (ou d’une violence) ? Comment survivre à l’exclusion du (ou par) le père ? Quelles sont les conséquences du rejet ou de l’abandon paternel ? J’ai également puisé dans mon expérience personnelle, dans les livres et les films que j’ai aimés. L’absence du père peut être vécue comme une épreuve structurante. Ou à l’inverse, comme un traumatisme destructeur. Entre les deux extrêmes, des variations, des nuances en fonction de l’histoire et de la subjectivité des filles. Pourquoi ? Pourquoi l’absence du père est-elle dévastatrice pour certaines, bénéfique pour d’autres ? Souvenons-nous que pour les filles, le père n’est jamais tout à fait là, toujours plus ou moins absent. Parfois, il est exclu par celle-là même qui se plaint de son absence. D’une certaine façon, le père ne peut être que manquant ! Et leurs filles, en mal du père ! L’écoute des femmes en difficultés affectives et relationnelles m’a également convaincue que si la mère a un tel empire sur le psychisme féminin, c’est par défaut du père symbolique. Or, ce défaut paternel a des effets, et ici, je ne parle pas uniquement d’un père absent physiquement du couple mère/enfant. Le rôle du père est de limiter la jouissance de la mère pour permettre au sujet humain de naître psychologiquement et de chercher des objets substituts. Quand la jouissance est vécue comme infinie, quand tous les objets semblent n’être que le prolongement du sein maternel (objets dits de consommation), l’enfant ne peut exister par et pour lui-même. Il est aliéné au désir de l’autre et en attente d’un père qui n’arrive jamais. Sa liberté passe par la reconnaissance de la solitude existentielle, par la reconnaissance du père comme objet de désir de la mère et par identification au père. Encore faut-il qu’il réalise le père dans sa vie intérieure. Ce sera un des buts de la psychothérapie et de la psychanalyse des « filles sans père ». Je terminerai en mettant l’accent sur le pouvoir curatif de la parole, sur l’importance de pouvoir instaurer et construire sa propre mémoire du père. Une sorte de mémorial symbolique via le langage ! Ériger le père à l’intérieur de soi passe par l’abandon de ses illusions infantiles et par le consentement à son histoire.[1] Au terme d’un long et douloureux travail de deuil, peut-être sera-t-il alors possible de transformer cette expérience négative en récit porteur d’espoir. -------------------------------------------------------------------------------- [1] Je paraphrase ici une belle expression de Louise Dupré : « consentir à son histoire ». |
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Par Louise Grenier, Psychologue, Psychanalyste |
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