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Quelques préjugés autour de l’inceste Extraits de La transgression du tabou de l’inceste, un crime contre l’humanité, à paraître prochainement. Recueillant des informations de-ci de-là l’étudiant curieux et soucieux d’objectivité pourra entendre l’énoncé de certains de ces préjugés. Peut-être alors découvrira-t-il, abasourdi, que nous ne savons pas grand-chose ni du côté de la victime, ni du côté du prédateur. Que les conditions d’insertion de ce crime dans l’arsenal pénal, ne sont pas très nettes. La France, par exemple ignore pénalement le crime d’inceste… De quelques fausses vérités Le risque pour les victimes de reproduire sur leurs propres enfants les faits dont elles ont été victimes : Faux ! Rien de scientifique ne permet d’avancer une telle contre vérité. Cette idée fausse, très répandue, alimente cependant la culpabilité des victimes devenues adultes et les rend très fragiles, une fois devenues parents à leur tour. Pour ces personnes, le poids du préjugé est aussi négateur que celui du passé. Il prive, en effet, la personne d’une écoute à l’endroit même où elle en aurait le plus besoin, sa société, sa culture. Le psychologue ou le médecin doit-il intervenir s’il lui est donné de constater des faits qui relèvent du crime d’inceste ? Vrai et Faux à la fois ! La loi fait obligation de déclarer au juge tout fait de maltraitance car le clinicien peut être mis en cause pour « non assistance à personne en danger ». Il n’existe cependant pas de disposition spécifique qui distingue le crime d’inceste des autres crimes sexuels commis sur des enfants. Il faut en outre prouver que la victime n’était point consentante. (Même si cette contrainte tend à ne plus faire l’objet de la demande des juges, vu l’âge souvent précoce des victimes). De cette contrainte, dont le prédateur tire souvent profit, de nombreux non-lieux furent prononcés par la justice et, en retour, des médecins sanctionnés par leur corporation, des parents protecteurs attaqués en diffamation…
À l’inverse, dans le Nord de la France, deux médecins viennent d’être interdits d’exercice pour n’avoir pas déclaré des faits de maltraitance sur un enfant qui est décédé suite à ses blessures. Autre préjugé répandu tant par les prédateurs que par des « théoriciens » : quelques victimes innocentes tireraient « un certain plaisir » de cette relation : c’est un fantasme de tordu dangereux et on s’étonne d’avoir encore à l’entendre. L’inceste est-il inscrit chez l’enfant comme fantasme, comme désir inconscient ? Faux ! Et je mets quiconque au défi de porter un témoignage d’un tel type pour un enfant de moins de sept ans à la connaissance de la communauté scientifique. Il faut insister sur un fait incontournable : l’enfant, jusqu’à 6 ou 7 ans n’exprime pas sa libido de la même manière que l’adulte qui, lui, a la possibilité consciente de la réduire au seul niveau génital. Nous verrons plus loin ce à quoi renvoient les fantasmes et les rêves de l’adulte. Cela nous conduira sans doute à cheminer à la place du prédateur. Un tel avis découle de la conception dite de « l’enfant pervers polymorphe » dont Freud avait fait un des points importants de sa théorie. C’est ensuite de cette conception que naquit le « Complexe d’Œdipe » qui demeure une sorte de grand mythe fondateur de la psychanalyse. La valeur scientifique de ces élaborations fait maintenant l’objet de nombreux débats au sein des groupes et écoles psychanalytiques. L’inceste s’expliquerait-il par les mythes ? Pas plus que le cannibalisme, les sacrifices humains, la zoophilie, etc. Et ce n’est pas parce que ces faits criminels se révèlent à nous en très grand nombre qu’ils se justifient au regard de la civilisation.
Nous faisons trop souvent référence aux mythes antiques, grecs de surcroît, ceci en vertu d’un préjugé tenace selon lequel nous reconnaissons en cette civilisation l’ancêtre de la nôtre. Ce que les historiens démentent chaque jour. Et nous oublions ainsi que les seuls mythes qui pourraient avoir une quelconque indication sur la manière dont nous abordons les problèmes et les défis spécifiques à ce moment particulier que l’Histoire traverse sont ceux que nous créons chaque jour. Or, il faut beaucoup de distance pour les discerner. L’œil ne voit pas ce qui est en lui ! Il faudrait entendre les historiens et anthropologues d’autres cultures pour pouvoir prétendre que nous abordons quelque peu nos propres mythes. Or, nos prétentions à l’universalité, notre ethnocentrisme nous privent de ce premier moyen d’y voir un peu plus clair en nous, en nos sociétés.
Deuxième dérive pour ceux qui laisseraient accroire que cela trouve une source quelque part ! POSER LE PROBLEME DU MAL DANS NOS CULTURES Tout porte à croire que nous n’avons pas dépassé notre implication aux crimes du nazisme. Nous ne nous sentons pas encore concernés. En dehors des allemands, les peuples européens se sont posés comme victimes et non comme agents. Du point de vue de la stricte logique historique, factuelle, cela est vrai. Le Mal Nazi s’est imposé comme un fait suprême, glacial, logiquement organisé et froidement exécuté et il fut facile de glorifier « le Mal nécessaire », celui qui fut propagé par les alliés en l’imposant comme incontournable et salvateur. Et nous ne pouvons plus ignorer combien le tissu social, le bain des mentalités du monde occidental, avant la guerre et avant l’Holocauste, étaient importants. C’est pourquoi les consciences collectives ne sont pas tranquilles… Trop de points demeurent obscurs soixante ans après. Psychologiquement, nous savons que si nous évacuons une énergie fortement chargée en affects vers un objet extérieur, nous vivons dans la crainte constante du retour de la charge qui lui est liée, si bien qu’il nous faut régulièrement « inventer » d’autres objets de projection pour sauvegarder notre maigre système de défense et d’aveuglement. Il est dit de l’Holocauste qu’il fut unique et singulier, c’est-à-dire qu’il doit demeurer dans l’Histoire de la civilisation tel une singularité et celle-ci tend très vite à se confondre avec l’exception. Notre position culturelle face à la transgression du tabou de l’inceste se rapproche de cette position qui fait de ce crime une exception, une dérive de quelques êtres en marge. Or, ce crime n’est pas exceptionnel et il touche un tabou réellement universel, le seul que nous connaissions. Nous devons donc faire en sorte que ce crime soit dénoncé comme portant atteinte au fondement de ce qui fait la cohésion de l’espèce humaine. Je lie les deux phénomènes de cette démesure, de cet ‘hybris’ — orgueil démesuré, insolence — humain : l’holocauste et l’Inceste car dans l’un et l’autre cas, c’est l’humanité qui est touchée, c’est l’innommable qui nous fait face. D’où la question : Pourquoi la société contemporaine, dans son ensemble, génère-t-elle les pires excès que l’humanité ait connu ? L’équivalence paraît étrangement évidente si nous lisons les discours des hommes politiques de l’époque, au moment de l’occupation, par exemple. Les dirigeants français s’appliquaient à dire qu’il ne fallait rien tenter contre les armées d’occupation car leurs réactions entraîneraient des dommages encore pires. Cet argument est caractéristique et elle est en tous points semblable à celle du complice du prédateur. Il faut garder le silence, subir car la réaction sera terrible. C’est ainsi que le prédateur assujettit sa domination infâme. Une telle équivalence devrait nous donner à méditer ! Un fait d’actualité devrait également nous donner à penser. L’affaire d’Outreau a mis en évidence une foule de dysfonctionnements que les médias se sont empressés de répercuter mais un aspect primordial de cette affaire manque au bilan. Si les affaires criminelles habituelles mettent en présence des criminels ordinaires, nous pouvons nous différencier d’eux. C’est ainsi que la morale s’installe, par la crainte qu’inspire l’exemple « mauvais ». Et c’est toujours se grandir que d’évacuer hors de soi toute tentative de l’évacuer hors de soi. « Ne pas succomber à la tentation ! », disent les chrétiens. Précepte repris par nos morales. Outreau nous place face à une évidence angoissante : chacun de nous, à tout moment peut être pris dans la tourmente d’une machination ou d’une tentation de passage à l’acte. Le crime d’inceste frappe en dehors du champ habituel de la criminalité. Il n’est pas le fait d’individus hors classe mais il nous touche dans nos vies quotidiennes. C’est, à notre avis, l’une des raisons essentielles du silence qui pèse sur ces affaires et qui empêche les victimes d’obtenir réparation. Ce crime frappe des personnes au-dessus de tout soupçon. « Nous ne savions pas ! » dit-on sidérés, une fois les faits mis en évidence. Parce que nous étions pris au piège du personnage que le prédateur offre à notre regard. Il nous ressemble ! Et, au fond de nous-même, nous devons alors nous demander comment échapper à cette barbarie. À moins que le « rituel d’exorcisme » ne se mette en route, soulageant notre conscience et lui offrant un bouc émissaire qui serait alors chargé de nos débarrasser de ce fardeau encombrant. La mise en pièce d’un responsable est un moyen très répandu de nos jours pour distraire l’attention du public — la populace — des problèmes essentiels.
C’est à peu de choses près ce qui se passe dans les suites de l’affaire d’Outreau. Le juge Burgaud est un formidable bouc émissaire jeté en pâture à la foule, ce qui permettra à notre culture d’échapper à un débat sur la question du crime d’inceste. Le juge Burgaud a été fusillé devant les caméras de télévision par la Commission d’enquête parlementaire devant laquelle il comparaissait. Il a subi un procès en règle, que les bonnes consciences dorment en paix ! Le fait singulier est en train de se perdre dans les liasses de dossiers d’affaires courantes. La barbarie et l‘hybris’ ont encore de beaux jours devant elles.
Illel Kieser El Baz, |