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Défi et découverte: le siècle de la schizophrénie et de la psychanalyse

Par Alain Rioux,  Psychologue
 
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2011 - Les cent ans de la schizophrénie
Rioux, A. (2011). Défi et découverte: le siècle de la schizophrénie et de la psychanalyse. Bulletin Vers la santé mentale, no. 38, été 2011 (Publication de l'Association québécoise des parents et amis de la personne atteinte de maladie mentale inc.). Québec, Canada. Fichier PDF

Résumé

Ce texte retrace la découverte de la psychanalyse et son développement au cours du XXe siècle. Parallèlement, il raconte aussi l’évolution de nos connaissances sur la schizophrénie à partir des explications analytiques. De l’invention du terme schizophrénie par Bleuler, autour de 1910, à la convergence des théories cognitive et psychanalytique, notre compréhension de la schizophrénie a fait d’énormes progrès. Avec les révolutions freudienne et jungienne, et la multiplication des nouvelles technologies médicales, la schizophrénie représente-t-elle toujours un défi?

 


Défi et découverte : le siècle de la schizophrénie et de la psychanalyse  ( Partie 1 )


La schizophrénie, un défi clinique  
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Il y a toujours, d'une culture à l'autre, d'un siècle à l'autre, un mal qui est synonyme de tous les maux, un mal qui devient la projection de tous les aspects négatifs et sombres de l'âme humaine. C'est ce mal qui devient une malédiction, une honte familiale, une plaie pour la société qui lui offre, bien contre son gré, le gîte.

D'après l'historien et psychiatre , Jean Garrabé (1992), "le XXe siècle est, du point de vue de l'histoire culturelle de la folie, le siècle de la schizophrénie" Décrite et nommée au début du siècle, cette maladie demeure, malgré les progrès remarquables de la psychologie contemporaine et des sciences médicales dans la dernière décennie, une énigme, un mystère, le talon d'Achille de la psychologie clinique.

La schizophrénie touche environ 1% de la population mondiale (Frith, 1996). Elle affecte des personnes de tout âge, des hommes aussi bien que des femmes, toutes classes sociales confondues. L'âge d'apparition de la maladie varie légèrement avec le sexe. D'après Kaplan et Sadock (1998), la schizophrénie risque davantage de faire éclosion chez les hommes entre 15 et 25 ans. Chez les femmes, elle apparaît plus fréquemment entre 25 et 35 ans. De plus, des études suggèrent que la schizophrénie est plus fréquente dans l'hémisphère nord du globe (Kaplan et Sadock, 1998).

Selon Coleman, Butcher et Carson (1984), les différentes formes de schizophrénie sont des désordres psychotiques caractérisées par une lourde distorsion de la réalité, un retrait de l'interaction sociale et une fragmentation de la pensée et de l'émotion. Le pronostic est réservé et les coûts sociaux et économiques sont énormes. La schizophrénie constitue la cause principale des séjours de longue durée dans les établissement de soins psychiatriques et elle affecte, à elle seule, le deux tiers des personnes hospitalisées (Duguay et al., 1984). 90% des patients en traitement sont âgés entre 15 et 55 ans (Kaplan et Sadock, 1998). La souffrance associée à la schizophrénie est profonde, plus de 10% des personnes atteintes se suicideront (McGlashan, 1988).

Les premières monographies 
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Nous devons les premières descriptions des manifestations comportementales apparentées à la schizophrénie à un physicien français nommé Philippe Pinel (1745-1829). En 1809, il caractérise des sujets qui sont des cas typiques de schizophrénie. Durant les décennies suivantes, il publie plusieurs bonnes descriptions de la maladie mais affuble chacune d'entre elles de noms différents. Certaines de ces descriptions attirent l'intérêt de la population et servent d'inspiration aux romanciers et aux hommes de théâtre de l'époque.

Il faudra attendre plusieurs décennies pour trouver dans l'histoire une description clinique valable de cette folie et voir apparaître le terme : démence précoce. La paternité de la description de la démence précoce est souvent disputée par les historiens qui tantôt l'accordent au français Bénédicte Augustin Morel (1809-1873), tantôt à l'allemand Emile Kraepelin (1856-1914). 

D'un point de vue chronologique, le terme démence précoce appartient à Morel qui a été le premier à l'utiliser. Par contre, ce dernier voulait construire un classement basé sur l'étiologie de la folie en tenant compte de la théorie de la dégénérescence et non sur la seule observation clinique. Cette entreprise a été un échec et même si Morel est le premier à avoir découvert les signes cliniques de la démence précoce, il ne pouvait la classer à partir des causes.

Cet échec a réduit le rôle de précurseur de Morel et a ouvert le champ à Kraepelin qui, avec la collaboration d'autres psychiatres allemands et prussiens, s'est attaqué au problème du choix des critères de classification des maladies mentales. Il existait aussi, à cet époque, une certaine confusion quant au terme "précoce" auquel on accordait parfois un sens lié à l'âge d'apparition de la maladie, parfois un sens lié à une évolution rapide vers un état d'affaiblissement psychique complet. 

C'est dans la cinquième édition de son traité intitulé Dementia Praecox and Paraphrenia qui parut en 1896 que le psychiatre allemand Emile Kraepelin applique le terme démence précoce à un groupe de maladies qui débutent à l'adolescence et progressent vers la démence. Il retient, pour la première fois, comme critère fondamental, le critère évolutif de la maladie. Selon lui, les signes extérieurs de la maladie doivent être relégués au second plan devant les conditions d'apparition, d'évolution et de terminaison de celle-ci.

Dans la sixième édition de son traité, paru en 1899, Kraepelin poursuit ses innovations et consacre un chapitre complet à la démence précoce qu'il considère comme une maladie unique pouvant se présenter sous trois formes clinique, hébéphrénique, catatonique et paranoïde. Il confirme le critère discriminatif essentiel de la démence précoce comme étant évolutif et aboutissant fréquemment à un état d'affaiblissement psychique. 

Plusieurs critiques portent sur le critère de discrimination évolutif, les classifications et l'étiologie de la démence précoce proposé par Kraepelin. Celui-ci proposait que la maladie était due à une autointoxication par des substances d'origine sexuelle accumulées dans l'organisme et envahissant le cerveau. De plus, Kraepelin se faisait une gloire d'avoir renoncé à chercher une signification aux symptômes observés et de ne plus les considérer que comme des signes objectifs ou quasi objectifs de telle ou telle maladie. Cet abandon de l'analyse psychologique pour formuler sa conception de la démence précoce lui attire les critiques les plus foudroyantes. Il faut dire qu'à cette époque, vers 1900, Sigmund Freud (1856-1939) et Pierre Janet (1859-1947), les élèves de Charcot (1825-1893) étaient justement en train de triompher de la folie hystérique en utilisant l'analyse psychologique (qui deviendra plus tard la psychanalyse) et en décrivant les concepts de dissociation de la conscience et de refoulement dans l'inconscient.

Pour Sylvano Arieti (1974), la monographie de Kraepelin (1919) demeure la description la plus complète, jusqu'à la fin des années 70, des symptômes de la schizophrénie d'un point de vue phénoménologique, c'est-à-dire, sans interprétation physiologique ou psychologique. Malgré la justesse de ses descriptions, il ne vient pas à l'idée de Kraepelin que le schizophrène est peut-être le résultat de la société et qu'il est influencé par des forces sociales. Il s'intéresse à la structure du phénomène plutôt qu'à son contenu, à la manière de penser du patient plutôt qu'à ce qu'il pense.

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La vision Bleulérienne  | HAUT |

Un peu plus d'une décennie plus tard, en 1911, un psychiatre suisse du nom d'Eugène Bleuler applique la psycho-analyse naissante à la démence précoce et utilise pour la première fois le mot schizophrénie pour désigner celle-ci. Il publie, cette année-là, une monographie des démences précoces, résultat de plusieurs années de recherche, qui est considérée comme l'acte de naissance de la schizophrénie moderne. Comme c'est souvent la tradition dans le monde médical, Bleuler utilise des racines grecques pour former le terme schizophrénie qui illustre mieux, selon lui, la séparation de certaines fonctions psychiques. D'un point de vue étymologique, schizo vient du grec " skhizein " qui signifie fendre, séparer et phrénie de " phrên " qui veut dire esprit. 

Bleuler croit que la division de l'esprit, observée chez les schizophrènes, est plus importante que l'évolution vers la démence comme caractéristique de base de la maladie. Ses travaux contribuent grandement à humaniser le concept de schizophrénie en faisant remarquer que même chez les personnes qui possèdent un fonctionnement normal, certains symptômes sont observables. Au-delà des descriptions de Kraepelin, Bleuler veut expliquer le contenu psychologique des symptômes plutôt que seulement leur structure. Selon Arieti (1974), l'originalité de la contribution scientifique de Eugène Bleuler se concrétise dans son étude des processus d'association et de distorsions de la vie affective, sa définition et son explication des concepts d'autisme et d'ambivalence et son interprétation du négativisme.

Un autre aspect important du travail de Bleuler est la classification qu'il propose des différents symptômes de la schizophrénie. Il décrit d'abord le groupe des symptômes fondamentaux et accessoires et regroupe sous le vocable fondamentaux les symptômes qui sont présents dans tous les cas de schizophrénie qu'ils soient latents ou manifestes. Dans ce groupe, Bleuler inclut le désordre du processus d'association qu'il considère comme la caractéristique la plus importante de la schizophrénie et aussi un désordre de l'affectivité et un type particulier de pensée et de comportement qu'il nomme autisme. Quant aux symptômes accessoires, ce sont ceux qui peuvent ou non se produire et qui, d'une certaine façon, caractérisent les manifestations schizophréniques qui sont propres à un individu sans être une composante essentielle pour poser un diagnostic. Parmi ce groupe de symptômes, il inclut les manifestations plus aiguës de la psychose comme les délires, les hallucinations, les postures catatoniques et plusieurs autres. Il précise, finalement, que les symptômes accessoires peuvent être présents dans le portrait clinique d'autres désordres que la schizophrénie (Bleuler, 1950).

Le deuxième groupe de symptômes proposés par Bleuler se divise aussi en deux catégories. D'une part, il y a les symptômes primaires dont le plus important est, encore une fois, le désordre de l'association. D'autre part, il y a les symptômes secondaires qui sont causés par une combinaison de l'action des symptômes primaires et l'action des facteurs pathogènes. En fait, selon Bleuler, les symptômes secondaires sont dus en partie aux modifications indirectes des fonctions psychiques et en partie à des réactions ou même des tentatives d'adaptation aux troubles primaires. Selon Garrabé (1992), cette conception théorique de Bleuler est l'idée maîtresse qui va conduire à considérer dans la théorie psychanalytique le délire comme une tentative de guérison et de réinvestissement libidinal de la réalité extérieure. 

Cette conception de la schizophrénie selon un processus interactif de composantes primaire et secondaire constitue une explication de la maladie qui sépare une fois pour toutes les notions Kraepeliennes et une description statique de la personne atteinte de la vision Bleulerienne qui présente un être humain qui lutte contre des pressions psychiques et tente de composer avec un désordre qui perturbe complètement sa relation au monde.

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