Lettres du divan
Écrire à son psychanalyste
Sous la direction de
Louise Grenier
Éditions Liber
PRÉSENTATION DE L’OUVRAGE
« Sentiers d’enfance de souffrance
Je vous ai suivis pas à pas … »
Jacques Brault, Moments fragiles
Écriture et psychanalyse, «sentiers d’enfance de souffrance» que les auteurs de ce recueil ont suivi pas à pas «jusqu’au bout là où l’ailleurs» est tout près, «dans le gel soudain d’une larme au bord des yeux». Pour certains, l’écriture a précédé leur entrée en analyse et a rendu possible une ouverture à la parole analytique et à ses soubassements inconscients. C’est que l’écriture, autobiographique ou poétique, leur a révélé ses limites. Ne se prête-t-elle pas aisément au jeu du miroir dont il faut bien s’extraire pour aller au-delà de ce que l’on croit savoir sur soi? Pour d’autres, déjà en analyse, l’écriture est apparue comme une issue créatrice constituant symboliquement une «chambre à soi» (Virginia Woolf) pour y déposer les sédiments de sa parole. Le divan, réel ou imaginaire, représentant ce lieu où la lettre se compose, rejoint d’autres lettres, des inscriptions et récits d’autrefois en quête de quelque destinataire invisible.
Au cours de rencontres amicales ou professionnelles, colloques, conférences en séminaires où il était question des rapports entre écriture et psychanalyse, je me suis demandé comment les psychanalystes accueillaient les écrits de leurs patients. Et dans quelle mesure eux-mêmes s’adonnaient à une écriture qui prolongeait leur parole sur le divan. C’est ainsi que m’est venue l’idée de ce recueil avec cette question préalable: quelle est la fonction de l’écrit intime, adressé ou non à l’analyste? Mon argumentaire interpellait les analystes moins du côté de leur savoir que de leur propre expérience d’analysants. Pour certains ce fut l’occasion d’une réflexion sur la valeur à accorder aux écrits du divan en marge du cadre classique, pour d’autres, de raconter et théoriser une situation clinique mettant au premier plan les écrits d’un patient, ou les leurs propres.
Les analystes qui ont accepté de contribuer à ce recueil sont des passionnés de l’écrit alors même que la parole est l’objet de leur attention quotidienne. Il y a là une dualité nourricière qui rejoint celle de leurs analysants qui, par la poésie ou la correspondance, témoignent de l’importance du lien symbolique qui s’est noué sur le divan. Il est vrai que le texte écrit, lettre ou fragment de journal de cure, ne peut refléter exactement les balbutiements de la parole, ses hésitations, l’espacement des temps et des silences du sujet, il n’en constitue pas moins un étayage privilégié pour continuer à penser, à rêver, à s’écrire en l’absence de son analyste.
Le lecteur trouvera ici des textes très différents les uns des autres: l’un osant la révélation d’un incident transférentiel, l’autre racontant une expérience clinique insolite, un autre encore défendant la spécificité du cadre analytique ou dévoilant poèmes et lettres à l’analyste. Encore faut-il entendre la lettre comme un signifiant qui renvoie à des signifiés multiples. Ainsi peut-elle jaillir d’une parole interrompue, ou suspendue, telle une pulsion qui vient rompre une barrière psychique.
Il arrive en effet que l’écriture vole au secours de la parole, qu’elle en pallie les lacunes et en contourne les défenses. Soutenue par le transfert, elle surfe sur une vague pulsionnelle, ou douloureuse, pour rassembler les morceaux épars de la mémoire. Dans Les outils du poète, Gaston Miron dit: «On s’écrit toujours à l’avance. Et c’est après qu’on se dit: “Ah bon, c’était déjà écrit dans un poème.”» Le poème narratif, l’écriture de soi et l’autofiction puisent à même cette part de soi soustraite au discours officiel, produisant ainsi un savoir qu’il reste à reconnaître. Dans «La marche à l’amour», Miron montre bien que c’est du lieu où ça ne parle pas que ça écrit. Et que l’écrit nous informe, mieux, nous précède.
Un analysant écrit à son analyste, ou pour son analyste. Lettres, messages électroniques, poèmes, récits de rêves ou de souvenirs, aveu d’un désir, ou d’une douleur, qui ne se dit pas. Ces écrits en marge des séances occupent une place à part dans l’analyse ou la psychothérapie, comme si le désir inconscient et ses tourments trouvaient là à se loger. Dans le mouvement même de son écriture, le sujet rejoint la part cachée de son être, celle qu’il ne livre pas en séance. Il se souvient de lui-même en quelque sorte, pour et avec un autre qu’il retrouve dans l’imaginaire. Nous ne sommes plus seulement dans «l’échange de mots» (Freud) au sens strict, mais dans la correspondance, l’analyste étant le principal témoin de cette mise à l’écrit de soi. S’agit-il d’une écriture analysante? S’agit-il d’une échappée hors du cadre analytique? S’agit-il d’un récit de soi qui trouve sur le divan sa raison d’être?
En marge des défenses, l’écriture dans et hors cadre analytique pourrait faire partie intégrante de la cure. L’analyste étant mis en position de «témoin garant» (Jean-François Chiantaretto) de cette «interlocution interne» qui se poursuit en son absence. L’écriture, du fait même de cette adresse, hors répétition du même, contribuerait également à la remémoration et à l’historisation du sujet. En ce sens, elle serait traversée de la mémoire et mouvement vers «l’inconnu en soi» (Marguerite Duras), vers cette part silencieuse et pourtant agissante de soi, l’infantile. Reste à savoir comment l’analyste accueillera ces écrits dans son propre transfert et comment il y répondra en séance.
Poèmes, messages ou lettres, récits de soi sont également un appel à l’écoute et une façon de se consoler d’une absence. Ainsi, le passage à l’écriture peut avoir été déclenché par une souffrance insupportable, celle-là même qui a motivé la demande d’analyse. Entre la parole énoncée en séance et l’écrit, il y a un écart, le sujet parlant n’étant pas à la même place que le sujet écrivant. Cet écart reflète bien ce qui sépare le sujet de l’infantile. Écrivant, il change de place pour donner une autre version de soi, au plus près d’un désir qui n’arrive pas à se dire, qui s’écrit pourtant. En marge de la parole dite, il y a donc la parole écrite, ce qui n’est pas sans effets transférentiels et contretransférentiels.
Ces écrits font partie intégrante du travail analytique alors même qu’ils surviennent dans ses marges. Ils répondent à une nécessité transférentielle en même temps qu’ils donnent accès au sujet dans la solitude de sa demande. Ils exigent une réponse, écrite ou dite: signes de vie, de présence et de l’importance de ce geste.
Précisons que la réflexion proposée ici ne porte pas tant sur des écrits publiés que sur ceux qui croisent la parole en séance. Les analystes aussi écrivent depuis cette place d’analysant, ou d’autoanalysant.
En somme, que penser de ces écrits intimes? Pouvons-nous les considérer comme des formations de compromis dans le cours d’une analyse, ou comme du matériel clinique à analyser au même titre qu’un rêve par exemple? Enfin, l’écrit du divan serait-il une façon de s’éloigner d’un vécu jusque-là silencieux, de l’infantile, ou au contraire, une façon de s’en rapprocher?
A PROPOS DE LOUISE GRENIER
Louise Grenier est psychologue et psychanalyste, chargée de cours au département de psychologie de l’université du Québec à Montréal, coordonnatrice du Groupe d’études psychanalytiques interdisciplinaires (GEPI) et responsable du Cercle d’animation psychanalytique (CAP) de l’université du Québec à Montréal.
Elle a publié Les violences de l’Autre. Faire parler les silences de son histoire (Quebecor), Femme d’un seul homme (Quebecor), Filles sans père (Quebecor) et codirigé plusieurs ouvrages dont Penser Freud avec Patrick Mahony (Liber) et Le projet d’Antigone (Liber).
DÉTAILS
Prix: 25 $ CAD | 23 € Euro
Date de parution: 17 mai 2017
Collection: Psychanalyse, psychologie, société
Catégorie: Psychanalyse
ISBN: 978-2-89578-602-3
Nombre de pages: 246
Format: 9 po / 23 cm | 6 po / 15 cm
Poids: 366g
Éditions Liber
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