Guerres et traumas

Guerres et traumas

Sous la direction de Olivier Douville

Avec des contributions de S. Beghaghel, N Ben Smail, H. Cohen Sola. Melchior Martinez, T. Roelens

Paris Dunod, 2016

SOMMAIRE

De la Première Guerre mondiale aux guerres d’indépendance, les conflits successifs du XXe siècle ont amené les psychanalystes à se pencher sur les soins à apporter aux patients traumatisés.
Les réponses ont évolué depuis Freud et ses élèves, avec, entre autres, les travaux d’un Fanon qui repensa les conditions de la psychothérapie institutionnelle dans le contexte de la guerre d’indépendance algérienne, tout en proposant sa propre version des traumas de guerre là où le politique fait effraction dans l’intime. Les services de psychologie des armées proposent des modèles précis de prévention des risques psychiques et de prise en charge des traumas de guerre.

Les conflits actuels – enfants-soldats en Afrique, guerre civile en Colombie, conflits au Moyen-Orient… jusqu’à la radicalisation des jeunes djihadistes – nécessitent des structures d’accueil et de soin psychique spécifiques.

Cet ouvrage propose ainsi une exploration des incidences des nouvelles formes de conflits – guerre larvée, guerre civile, radicalisation armée – et des dispositifs cliniques mis en place à l’épreuve de ces guerres modernes sur les subjectivités.

L’AUTEUR PRINCIPAL
OLIVIER DOUVILLE

Psychanalyste, adhérent praticien à l’association Espace analytique, maître de conférences, université Paris 7-Diderot (laboratoire CRPMS) et université Paris Ouest-Nanterre La Défense, EPS de Ville Evrard (93), directeur de publication de la revue Psychologie clinique.

SITE WEB
http://olivierdouville.blogspot.ca/2016/06/introduction-au-livre-guerres-et.html?q=deuil

COMMANDE
https://www.amazon.fr/Guerres-traumas-Olivier-Douville/dp/2100749323/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1465918846&sr=1-1&keywords=guerres+et+traumas

EXTRAIT
Introduction (de Olivier Douville)

En 2016, le mot même de guerre est un mot d’un poids et d’une importance extrême pour au moins trois générations. Et de même insiste  la dimension  de la survivance.

Ce n’est pas seulement que la guerre laisse des traces inconscientes pouvant se transmettre d’une génération à l’autre, c’est que l’impact d’une destructivité interne que la guerre moderne a sur nos vies psychiques affecte ce pouvoir de transmission.

Le travail de ceux qui entreprennent, comme le font les auteurs de ce volume, de situer ce que les cliniciens peuvent de la guerre retirer comme savoir sur leurs pratiques et leurs théories  doit en passer par un abord historique qui sera précisé ici à partir de la première guerre mondiale.

L’histoire des dommages psychiques causés par la guerre est assez longue.  Il suffirait ici, suivant en cela les recherches de L. Crocq, d’évoquer la figure aveuglée du guerrier athénien Epizelos : un valeureux au combat, mais qui perdit la vue sous l’effroi de sa rencontre avec un guerrier ennemi qui lui parut énorme et le dépassât pour aller tuer le frère d’arme de ce malheureux grec.  Platon  à la fin du livre X de La République évoque Socrate qui confie à Glaucon d’un guerrier  revenu des enfers, Er, un natif du Sud de la Turquie actuelle, tué au combat  et qui se retrouva en vie douze jours plus tard sur le bûcher funéraire élevé sur le champs de bataille . Plus tard on trouve chez Froissart ou Agrippa d’Aubigné de tels récits d’effroi et Shakespeare évoqua ces cauchemars des  batailles dans Henry IV et Roméo et Juliette .

Ultérieurement, d’autres souffrances purent se confier aux médecins et elles connurent les honneurs d’une description fine. Ce n’était pas  uniquement le champ de bataille qui paraissait alors pathogène. L’état d’âme dépressif  du mercenaire exilé, ce suisse  qui a délaissé sa  terre natale pour d’engager en Italie ou  en France,  fut nommé Nostalgie. Ce terme médical est de la même famille que névralgie, il vit le jour en 1688 dans une thèse secondaire  du médecin alsacien de Mulhouse et homme politique Johannes  Hofer (1669-1752).  Par la suite la nostalgie que ne soignait pas le retour au pays, fut comprise comme un éloignement du sujet à lui-même, un exil intérieur, bien que Jaspers  dans sa thèse de médecine soutenue à Heidelberg en 1909 sur la Nostalgie expliquait par la force cet affect certaines tendances criminelles chez des adolescents déplacés trop loin de chez eux.

Les descriptions détaillées des  dommages psychiques liés aux conflits armés et les préconisations qui s’en suivirent  remontent à la guerre de Sécession et  au conflit russo-japonais. Pour autant ces enseignements restèrent lettre morte et les médecins de la première guerre mondiale n’en firent aucun usage.

Nous pouvons ici remarquer que si la psychanalyse est liée à la guerre c’est bien aussi comme l’indique le premier chapitre de ce livre parce que les élaborations des psychanalystes sur le front de la première guerre   permirent de reconsidérer la folie traumatique et les liens entre trauma et psychose. La guerre est pour Freud un moment de catastrophe du travail de la culture alors que les guerres sur quoi Freud médita et celle qu’il a connu sont entreprises au nom de hautes idéalités : le bonheur, le progrès, la paix. . Dans la guerre et par la guerre les civilisations se savent mortelles. Les indications freudiennes sont de qualités diverses. Si c’est presque une banalité de souligner que la guerre correspond à la mainmise des pulsions d’agression sur les forces de liaison, de Thanatos sur Eros, en quelque sorte, d’autres cheminements théoriques laisserait penser que dès que l’on retire à la guerre son appareil idéologique d’idéalité, alors elle se révèle originairement comme un exercice de la haine, une guerre fratricide. C’est bien ce que nous constatons aujourd’hui, où le nombre de guerres civiles augmente alors que les appareils  discursifs qui prétendent légitimer les conflits sont en état d’aphasie.

Mais déjà la voix Homère nous avait mis en garde. L’Illiade ne célèbre pas la guerre, les grecs vaincront par ruse, ce n’est guère si glorieux. Homère indique que la guerre de Troie est une ruine économique pour tout le monde, qu’aucun discours défensif ne saurait la justifier, Troie n’était en rien une menace pour la Grèce continentale, qu’enfin aucune idéologie ou religion n’opposait les grecs et les troyens. Pour la démocratie grecque la guerre est un moment de catastrophe. La vertu guerrière semble une continuité de la vertu politique. Le désir de tuer est blâmé. Ainsi attribue-t-on à Aristote l’adage selon lequel les guerriers grecs n’avaient pas peur de mourir mais redoutaient de donner al mort. C’est pour les opposer aux Perses.

La guerre c’est la continuation du politique mais par d’autres moyens. Nous connaissons cet adage. Il est de Carl von Clausewitz. Michel Foucault l’inversera, à  juste titre en soutenant c’est la politique qui est la continuation de la guerre, soutient-il. Tout cela est habile. Convaincant ? nous aimerions que cela le soit, car  nous aimerions qu’après les carnages, la politique reprenne son pouvoir, ses règles de domination, ce que nous appelons ses droits. Mais sommes-nous si assurés que la guerre ne viendrait pas révéler cet au-delà du principe de réalité de la politique, son moment où la raison  décline, où l’extase sacrificielle, voire auto-sacrificielle prend le dessus ?

Apprenons quelque chose de la guerre qui irait renforcer notre alliance singulière et collective avec les forces de la civilisation ? il serait tenant, consolateur, mais peut-être vain de se précipiter ici dans une réponse immédiatement affirmative.  L’illusion serait  double. D’une part, et Freud, mais tout aussi bien Paul Valéry le soulignèrent,  il est faux de penser que les civilisations soient inaltérables et immortelles, d’autre part nous savons depuis la mort de Freud que si un savoir est issu d’un conflit guerrier, il est souvent vain de faire le pari que ce savoir ira tempérer le débridement d’autres appels à la vengeance et au meurtre qui se sont déchainés avec le nazisme et qui flamboient aujourd’hui dans notre siècle encore jeune.

La théorie analytique aussi est interrogée par les effets de la guerre, que ces effets soient directement constatables chez les combattants blessés psychiquement et les victimes, qu’ils soient présents comme des traces remaniées en après-coup chez les enfants et petits enfants de ces combattants blessés et de ces victimes.

Le siècle passé et de même celui qui commence  sont une époque d’hécatombes marquées par le nombre effrayant de victimes civiles lors de ces guerres qui souvent sont des entreprises génocidaires. Les morts, mais aussi les blessés psychiques et physiques se comptent par million. Bien des guerres ne sauraient se réduire à la  vision classique qui fait de chaque conflit guerrier un affrontement limité d’un état contre un état. La notion même de  guerre d ‘extermination ou de purification fait rage.  Cette guère se déroule au sein d’un même pays ou elle s’exporte (comme c’est le cas avec Daesh ou El) prenant alors la forme d’une croisade surgie des décombres d’un pays disloqué. S’y promeut l’idéologie d’une guerre illimitée ou serait forclose la possibilité même d’une identification à l’ennemi et où serait, du même coup, amputée la possibilité pour chacun de penser la mort reçue et la mort donnée à l’autre [1].

La guerre est une affaire politique, et si des cliniciens y ont porté leur intérêt, ont soigné et soignent encore les victimes des guerres et les réfugiés, c’est aussi le cœur de la théorie psychanalytique qui est interrogée par ces questions des meurtres en masse. L’évolution technique et politique des conflits guerriers et des guerres d’extermination donne à la mort un statut anthropologique différent. Depuis la première guère mondiale, puis les menées génocidaires (génocide arménien, Shoah, Situation de quelques pays africains dont les deux Congo et le Rwanda) et les guerres civiles (situations de la Colombie et de l’Algérie), la fabrication industrielle de la mort et les politiques qui visent à retrancher de l’humanité une part d’elle même par l’extermination sidèrent .

Le monde n’a jamais connu la paix, et notre point de départ n’est pas de rendre équivalent guerre et retour à une quelconque animalité de l’homme. Toute guerre est d’abord un fait politique en ceci que les guerres se déroulent dans des cadres discursifs qui bougent énormément, et qui, s’ils les rendent possibles, reconfigurent la logique et la finalité de tout dispositif guerrier.  Les guerres modernes n’ont pas toujours, loin s’en faut comme objectif de rétablir une harmonie menacée, comme c’était le cas des guerres dites tribales qui,  selon l’ethnologue Pierre Clastres, permettait à chaque isolat social de conserver son intégrité, de ne pas se fondre avec un autre ni se l’annexer, la logique de la guerre étant alors une logique équilibrant les jeux de l’alliance et de l’autonomie.  Souvent, comme on le voudrait en honnête lecteur de Zun Tsu ou de Grotius, les guerres eurent comme objectif d’affaiblir l’adversaire afin de le ramener à  négocier, elles visent sa sujétion, non sa ruine, son impuissance ou sa disparition. Dans la guerre illimitée, il n’en est rien et la violence est au service de la terreur, les notions de droit et de conventions internationales pour protéger les civils et les prisonniers comptent pour très peu.  Et des enfants naissent là où rien ne les attend et ne les protège.

Ces nouvelles formes de guerre posent au clinicien des défis thérapeutiques. Nous  rencontrerons tout au long de ce livre des praticiens de terrains qui nous décrivent des dispositifs d’accueil des générations sacrifiées que ce soit en Colombie, dans quelques pays d’Afrique Noire, en Tunisie ou dans le cadre du conflit israélo-palestinien. La clinique psychanalytique est ici celle du trauma, bien sûr, mais encore des effets sur la subjectivité des destructions des altérités et des identités. Comment retrouver vie et espoir dans la parole humaine, telle est bien une question qui pourrait servir de fil rouge aux contributions que j’ai eu l’honneur de recueillir en ce volume.

Ce livre collectif est articulé de la sorte :

1 – Repères historiques : sur la notion de traumatisme de guerre, dans le contexte de la première guerre mondiale, puis dans le développement que Fanon donne à cette question autour de la guerre d’indépendance algérienne (chapitres 1 et 2)

2 – Situations actuelles, diagnostic et traitement, regards d’anthropologie clinique : à partir du conflit israélo-palestinien (chapitre 3), des effets de la guerre civile en Colombie (Chapitre 4), des guerres et des enfants sous les conflits armés dans quelques pays d’Afrique Noire (chapitre 5), du retour des adolescents partis au Djihad en Tunisie (chapitre 6)

3 – la place de la psychologie et l’armée : Les dispositifs d’accompagnement des victimes de guerre et de leur proche, un regard critique (chapitre 7) , un dispositif de soutien médico psychologique pour les soldats (chapitre 8)

[1] On évoque ici L’Histoire de la Guerre du Péloponèse de Thucydide, où chaque athénien est décrit dans sa singularité, dans un compte du un par un pour lequel singularité et particularité liées ensemble désignent des destins singuliers. Chacun, au un par un est coptable de la guerre et de la mort.

DÉTAILS

Broché: 256 pages
Editeur : Dunod (15 juin 2016)
Collection : Inconscient et Culture
Langue : Français
ISBN-10: 2100749323
ISBN-13: 978-2100749324
Dimensions du produit:  15,5 x 1,5 x 24 cm


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