La sensibilité : au-delà des préjugés, une réalité complexe

Extrait du livre de Saverio Tomasella:
Hypersensibles – Trop sensibles pour être heureux?

De nombreuses fausses idées circulent sur les personnes hypersensibles. Il est nécessaire de les préciser avant d’explorer en profondeur la complexité de la réalité telle qu’elle est vécue par chacun.

Une première erreur est d’attribuer une très grande sensibilité à une sexuation (les femmes seraient plus sensibles que les hommes) ou à un âge (les enfants et les vieillards). Il existe des femmes insensibles et des hommes très sensibles ; des enfants ou des vieillards peu sensibles et des adultes particulièrement sensibles.

Il peut arriver de confondre une sensibilité vive avec l’excentricité. Une personne excessive ou extravagante peut ne pas être particulièrement sensible, mais choisir de se montrer, de s’habiller ou de communiquer de façon théâtrale, provocante ou marquée. A l’inverse, les individus très sensibles ne sont pas forcément originaux, ils peuvent être conventionnels ou très réservés ; ils cherchent alors plutôt à ne pas se faire remarquer.

Certaines personnes hypersensibles peuvent être plutôt « introverties », timides, réservées, pudiques, alors que d’autres seront plutôt « extraverties », expansives, communicatives et bavardes.

Une personne très sensible ne sera pas obligatoirement nombriliste et, inversement, une personne égocentrique n’est pas forcément d’une forte sensibilité.

Enfin, la sensibilité n’est pas la sensiblerie, qui est une forme affectée et artificielle de sensibilité feinte : il s’agit alors de faire croire à l’autre que l’on est touché ou ému, et d’en rajouter dans sa façon de le montrer. De même, la mièvrerie n’a rien à voir avec la sensibilité. Là encore, il s’agit d’une affectation maniérée de douceur prétendue et de fausse sensualité.

Qu’est-ce que la sensibilité ?

Le mot « sensible » apparaît au XIIIe siècle pour distinguer l’âme sensible de l’âme raisonnable. Cette différence est plus un complément qu’une opposition, à tel point que « sensible » va longtemps exprimer « sensé ». C’est encore le sens de ce mot en anglais. Dès le XVIIe siècle, « sensible » signifie « qui ressent une impression », puis « facilement ému », pour exprimer à partir du XVIIe siècle « qui a des sentiments humains ».

Aujourd’hui le dictionnaire *Larousse* définit la sensibilité comme une capacité et comme la manifestation de cette qualité : « Aptitude à ressentir plus ou moins vivement à un événement ou une situation. Aptitude à s’émouvoir, à éprouver des sentiments d’humanité, de compassion, de tendresse pour autrui. Par exemple : un enfant d’une grande sensibilité ; un livre d’une grande sensibilité. »

L’hypersensibilité, quant à elle, est définie comme « une sensibilité extrême ou excessive »… Reste à comprendre ce que sous-entend « extrême » ou « excessive », qui sont des qualificatifs qui dépendent de critères personnels ou socioculturels, pouvant varier en fonction du contexte, et d’une personne à l’autre, d’un groupe à l’autre, d’une époque à l’autre. »

* * *

Un mot de l’auteur

« Depuis de nombreuses années, j’écoute les musiciens, les cinéastes, les comédiens, les danseurs, les peintres, les sculpteurs, les poètes et les romanciers. Chaque fois, je me rends compte que les artistes parlent plus précisément des êtres humains, avec des mots simples, que beaucoup de psychologues qui ont un vocabulaire spécialisé devenu langue morte. Je me suis interrogé sur ce fossé difficile à franchir. Je me suis rendu compte que les termes techniques, prétendument « scientifiques », pouvaient être ou paraître blessants et qu’ils n’apportaient pas de compréhension plus profonde ou plus claire de ce que nous vivons au jour le jour. J’ai remarqué aussi qu’ils embrouillaient habituellement l’esprit en imposant des notions éloignées de la réalité, parce que trop abstraites et trop intellectuelles. Ce constat m‘a poussé à être plus attentif aux nuances et aux variations des paroles d’artistes sur la vie et sur l’humain, pour tenter de mieux cerner les multiples expériences sensibles que nous vivons au jour le jour.

S. Freud, dès 1907 dans son ouvrage *Le délire dans la Gradiva de Jensen*, a affirmé très clairement la même chose quant à la capacité des artistes à exprimer l’âme humaine mieux que ne le font les psychologues, les psychiatres ou les psychanalystes. Pour s’en convaincre, il suffit par exemple de relire *Hamlet* de W. Shakespeare (1603), *Ruy Blas *de V. Hugo (1838), ou *Pierre et Jean* de G. de Maupassant (1888), etc. Ces œuvres, et tant d’autres, sont d’une grande profondeur. Elles expriment toutes les nuances et les complexités de l’âme humaine… »

Saverio Tomasella, Psychanalyste, Nice.

Hypersensibles – Trop sensibles pour être heureux?
Éditions Eyrolles, Paris, 2013.
https://www.psycho-ressources.com/bibli/hypersensibles.html


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