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Revenons au mythe traditionnel. Dès sa venue au monde, tout nourrisson encore, Narcisse se fit aimer des Nymphes qui le choyèrent et le gâtèrent … peut-être un peu trop ! Ce bel enfant grandi avec la certitude d’être un individu exceptionnel ne pouvant obtenir que ce que la vie offre de plus beau et de plus enviable. Narcisse était vraiment unique. Sa mère, comme beaucoup de mères de l’époque, inquiète de l’avenir de ce fils exceptionnel, alla consulter le célèbre devin Tirésias. Il lui expliqua, fort embarrassé, que son fils ne vivrait pas vieux si, par malheur, un jour, il se voyait…Aussitôt sue cette mauvaise nouvelle, aussitôt les parents protégèrent Narcisse de toute image de lui-même. A 16 ans – le bel âge de l’adolescence- Narcisse était un jeune homme merveilleusement beau, intelligent, athlétique. Un superbe chasseur se plaisant en la compagnie de ses copains, comme lui grands chasseurs devant Zeus. Il se riait de ces femmes et ces hommes qui se pâmaient d’amour et de désir en le voyant. Il les méprisait : il était tellement imbu de lui-même ! Un jour, la Nymphe Echo le croisa sur son chemin. Echo connaissait un triste destin : bien avant de rencontrer ce bel adolescent, cette malheureuse Echo avait, par son bavardage incessant, fait échouer la tentative d’Héra de surprendre son mari, Zeus, en flagrant délit d’infidélité ! Pour la punir Héra la prive de sa voix : désormais, elle ne pourra que répéter les dernières syllabes des mots qui lui sont adressés. Ce qu’elle continue de faire encore aujourd’hui… Vous vous doutez bien qu’il était dès lors impossible à Echo de « dire » son amour à Narcisse. Alors, la pauvre Echo suivit Narcisse en se cachant. Un jour, cependant, sur un « malentendu » au sens strict du terme, Narcisse prenant conscience qu’il est suivi dit à la personne qui se cache : »tu viens ? ». Echo sort alors du bois dans lequel elle se cachait, éperdue d’amour pour ce bel Apollon qui se nomme Narcisse. Horrifié par tant de débordements, il la repousse et prend ses jambes à son cou pour la fuir au plus vite ! Némésis mènera à bien son ouvrage et réalisera la prophétie de Tirésias : il aimera d’amour une personne qu’il ne pourra jamais atteindre, jamais « toucher », à tous les sens du mot. C’est alors que narcisse, se penchant au dessus d’une eau limpide pour étancher sa soif, tombe amoureux de son propre reflet, dans lequel, peut-être reconnaît-il le visage de sa sœur jumelle trop tôt disparue. Une autre lui-même, à tous points de vue… Il connaît alors la même douleur que celle éprouvée par Echo. Il reste « collé » à son image, ne s’alimente plus, ne bouge plus. Figé dans cet amour impossible, il pleure…une larme tombe dans l’onde transparente et trouble le reflet de Narcisse. Croyant avoir perdu son amour, Narcisse s’étend et se laisse mourir. Deux fins différentes sont attribuées à ce mythe : l’une qui dit qu’à la place du corps de Narcisse serait apparue, pour la première fois cette jolie fleur jaune qui porte son nom, l’autre beaucoup plus sombre, évoque un Narcisse descendu aux Enfers où il chercherait éternellement et en vain le reflet de son amour dans les eaux troubles du Styx (fleuve des Enfers). Le désespoir de Narcisse y serait éternel… Cette version du mythe évoque le désenchantement du monde – monde réduit à quelque chose de froid et sombre, monde de solitude, d’errance et de mort. Monde sans espoir, sans espérance, sans idéal. Ce même monde qu’évoque Oscar Wilde dans son roman « le portrait de Dorian Gray ». Ainsi, le mythe de Narcisse peut se lire soit sur sa face sombre- les Enfers, le Styx, la mort définitive, la vie désenchantée, et alors le narcissisme est haïssable et mortifère ; soit sur sa face lumineuse : le narcisse, sorte de résurrection de Narcisse sur le plan symbolique, où l’amour de soi se transforme en un don fait à la vie, au monde. DU DESENCHANTEMENT DU MONDE… Si on regarde le « côté sombre » de narcisse, alors, c’est vrai notre monde ressemble aux Enfers et au Styx. L’amour de soi coupe du monde, stérilise, assombrit tout, absorbe toute lumière et toute vie. C’est ce que nous pouvons parfois éprouver au cours de notre vie, lorsque nous ressentons ce profond et désespérant sentiment de solitude, quand il nous semble bien difficile «de nous assumer » dans notre monde si individualiste. Il est paradoxale de réaliser que l’individualisme qui a permis la naissance de la démocratie, se retourne contre l’individu et l’étouffe. Dans cet individualisme de la société il y a une certaine « fatigue d’être soi ».Sans doute parce que nous n’avons ni repères stables, ni vraies valeurs, ni idéal à partager avec les autres. Au sens du sacré attaché à la Vie s’est substitué le paraître. L’excellence est devenue efficacité et performance, le « spectacle » est devenu le cache-misère d’un manque de densité d’être, d’incurable manque existentiel. Partout, on donne à voir, pas à être. Tout du moins pas assez. C’est dans ce contexte que se développe depuis quelques décennies la société la plus narcissique qui soit : culte du corps, de la beauté, du paraître, culte du miroir, mon beau miroir dis-moi que… Culte qui coupe l’individu qui s’adonne à ce narcissisme de ce qu’il porte de meilleur au plus profond de lui-même- son esprit, son intelligence, son âme- culte qui coupe l’individu de tout vrai lien avec lui-même, les autres, le monde. Alors oui, le monde est désenchanté quand nous passons notre vie perdus dans notre propre regard, dans notre propre reflet. Et le désenchantement du mondez, pour les plus lucides d’entre vous, fait naître parfois le désenchantement de soi-même et des autres… AU DESENCHANTEMENT DE SOI MÊME ET DES AUTRES… Comme il est difficile, dans notre société, d’être une femme, un homme « bien ordinaire » comme le chantait Charlebois…quelqu’un comme tout le monde. Avec les mêmes tracas, les mêmes failles, les mêmes manques, la même chair, le même sang… et des vies toutes singulières ! Alors, c’est peut-être dans les moments où il ne se passe rien de trop « grave » que l’on peut le mieux évaluer son aptitude à être heureux avec soi-même… Vous vous sentez bien loin de la jeunesse, de la beauté et de la gloire…Vous vous trouvez fade, inodore, sans saveur, insipide, sans saveur, sans aucune importance. Les modèles que l’on vous propose via les média, vous semblent inatteignables. Et de fait, ils le sont…Et cela vous rend très malheureux… »J’aurais aimé être un artiste ! »chante le héros de Starmania, et vous vous auriez aimé être quelqu’un d’autre…Tenez, votre voisin , justement ! Voilà un homme qui semble bien dans sa vie ! Que fait-il donc pour garder la sveltesse de ses 30 ans, le bronzage de l’été dernier, et porter toujours les vêtements que l’on se doit d’avoir dans sa garde robe ? Vous l’enviez et vous vous détestez. D’une part parce que vous vous sentez moins que lui, d’autre part parce que vous n’êtes pas très fier d’être dans le registre de l’envie et de la jalousie. Peut-être votre voisin est-il naturellement plutôt maigre- on ne naît pas semblables, c’est vrai… ce n’est pas pour cela qu’il est « meilleur » ou « mieux » que vous. Il n’y est pour rien. Ne lui en veuillez pas. Il se pourrait fort qu’il échangerait avec vous ses tracas, son stress, ses tensions contre votre vie plutôt calme et confortable. LA RECONQUETE DE Soi-même OU LE REANCHANTEMENT DE LA VIE…. C’est ce que je vous propose. Par Martine Teillac, Psychanalyste, Psychothérapeute, Paris, France
Martine Teillac est psychanalyste, spécialiste des thérapies de couple. Elle collabore à des magazines comme Psychologie, Marie-Claire, Changer Tout, Femme Actuelle, Stratégie, Bien dans ma vie.
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