.
VINCENT ET MOI EN CONSTANTE ÉVOLUTION
Le programme d’accompagnement artistique Vincent et moi - Institut universitaire en santé mentale de Québec - célébrait son 10e anniversaire en 2010. En 2001, qui aurait cru que dans un milieu de soins non dévolu aux arts, Vincent et moi réussirait à dépasser les frontières et à faire connaître l’art des personnes vivant avec la maladie mentale à des dizaines de milliers de personnes? Quand je regarde le chemin parcouru depuis l’impulsion initiale et le développement fulgurant qui a suivi, il m’est difficile de ne pas considérer l’histoire du programme sans tracer un « hier» et un « aujourd’hui » tellement la réalité a évolué positivement.
Débuté avec une cohorte de six usagers en hébergement à l’Institut, Vincent et moi accompagne désormais une cinquantaine d’artistes; tous vivent dans la communauté. Le programme, d’abord orienté sur le prêt d’œuvres d’art et la tenue d’une exposition annuelle, a multiplié et diversifié ses activités, créant au fil des ans, toute une panoplie d’opportunités de croissance au gré des audaces de ses artistes et, qui plus est, un rayonnement inouï pour l’Institut.
Avec le temps, les trois principaux objectifs autour desquels le programme s’est construit se sont incarnés par un discours et des actions de plus en plus engagés au niveau artistique et intégrés au monde des arts et de la culture :
« Hier », on voulait faire Reconnaître et valoriser le potentiel créateur des usagers artistes. « Aujourd’hui », il s’agit plutôt de Faire connaître et reconnaître la contribution artistique et culturelle des artistes vivant avec la maladie mentale. La désignation d’artiste témoigne du fait que Vincent et moi a toujours vu d’abord la personne avant la maladie. Les actions du programme ont donc porté rapidement vers une reconnaissance du statut d’artiste à part entière et l’offre d’un soutien au regard des exigences que ce statut implique.
« Hier », Vincent et moi visait à Promouvoir une meilleure communication entre le personnel de l’établissement, la société et les usagers artistes. L’exposition annuelle en constituait alors la seule occasion. « Aujourd’hui », on œuvre pour Créer des espaces de rencontre. Par le biais d’expositions et d’événements artistiques qui sont autant d’espaces de rencontre, le programme propose aux artistes de nombreuses occasions de communiquer avec la communauté et d’y faire connaître leurs capacités, leurs talents et leurs forces. Soutenus et reconnus comme artistes, ils suscitent aussi une réflexion sur la maladie mentale, l’intégration sociale et la participation à la société des personnes souffrant de maladie mentale.
« Hier », on souhaitait Favoriser la conservation du patrimoine. Il apparaissait important de préserver la mémoire collective et de rehausser la qualité de l’environnement grâce aux productions artistiques des usagers. « Aujourd’hui », le patrimoine est constitué de plus de 500 œuvres dont 80% sont l’objet d’un prêt! La collection continue de croître grâce à la donation d’œuvres par les artistes qui témoignent ainsi de leur désir de jouer un rôle social et de contribuer grâce à leur talent et aux œuvres exposées, à changer le regard des gens sur la maladie mentale.
UN REGARD DIFFÉRENT
Dès le début, Vincent et moi a introduit un élément intangible avec la dimension artistique et misé sur les forces de la personne dans une institution qui, par sa vocation, était axée davantage sur la pathologie. Il innovait en proposant de s’occuper de la personne plutôt que de mettre l’accent sur la maladie. Vincent et moi apportait une nouvelle proposition en élaborant au sein de l’Institut, un programme sans visée thérapeutique ou collaboration clinique! L’idée n’était pas d’intéresser les usagers de l’Institut aux bienfaits de l’expression artistique pas plus que de répondre aux besoins qu’auraient pu exprimer les équipes de soins ou les médecins.
La volonté de Vincent et moi était et demeure de soutenir des personnes qui s’investissent sérieusement dans une démarche en arts visuels; démarche fragilisée à cause de la maladie et du parcours de vie. Né dans un contexte de désinstitutionalisation, Vincent et moi désirait apporter une réponse aux besoins des usagers qui, en suivi externe, avaient perdu le soutien humain et matériel qu’ils recevaient auparavant dans le milieu hospitalier au niveau de leur production artistique. Le but était d’instaurer les conditions propices à la poursuite du cheminement en arts visuels qu’ils désiraient faire, conscients que ceci constituerait un facteur les aidant à consolider leur intégration dans la communauté.
UNE APPROCHE ARTISTIQUE
Le positionnement de Vincent et moi a toujours été clair : son approche est strictement artistique. Il a fallu – et il faut encore – être vigilant à ce sujet. Malheureusement, nous sommes souvent confrontés à la méconnaissance du public et à l’association qu’une large part de celui-ci fait entre la psychiatrie et l’art-thérapie. Confronté aussi, par le réseau de la santé qui a le réflexe de mettre l’emphase sur les effets thérapeutiques de l’art et finalement, avec le monde des arts qui définit le statut d’artiste dans un carcan de normes et de règles qui laissent étrangement peu de place à la créativité
(1). On semble encore ignorer qu’une personne souffrant de maladie mentale peut réellement être un artiste et que la motivation profonde qui la pousse à créer n’est pas nécessairement celle de guérir ou de se rétablir. Pour remédier à cette situation, un travail constant de sensibilisation et d’enseignement doit être réalisé afin de tracer les distinctions entre un processus de création artistique et un processus de thérapie et d’expliquer en quoi les finalités de chacun diffèrent. Vincent et moi invite les gens à regarder les œuvres – et les artistes – avec un nouveau champ de référence, avec les yeux et le cœur, avec émotion.
Vincent et moi ne s’inscrit dans aucun courant de pensée spécifique: il trace sa propre voie avec créativité, en écho des besoins et des réalités singulières exprimées par les artistes qui lui accordent leur confiance. Ceci dit, la nature même de l’accompagnement individualisé du programme est centré sur la personne et il apparaît évident que Vincent et moi peut soutenir et contribuer au rétablissement des artistes.
PORTER L’ESPOIR
Les personnes vivant avec la maladie mentale étant capables d’autodétermination, de faire des choix et d’en assumer les conséquences, Vincent et moi envisage tous les possibles pour les artistes; il les aide à porter leurs rêves et à en être les bâtisseurs. C’est pourquoi Vincent et moi souhaite redonner a ces personnes la maîtrise de leur parcours artistique en leur offrant un espace préservé de toute intrusion – aussi bienveillante ou thérapeutique soit-elle – qui se situerait hors de l’expression de leur propre volonté.
L’ensemble des actions et des activités du programme est toujours inspiré par le désir de leur permettre de prendre la parole et de jouer un rôle social. D’étape en étape, les artistes du programme sont interpellés à prendre non seulement une part active dans leur propre développement mais à rencontrer d’autres créateurs, à appartenir à une communauté artistique régionale, nationale et internationale, à participer à des projets collectifs, etc. De plus, ils participent à l’avancement d’une cause sociale et jouent un rôle significatif pour la démystification de la maladie mentale. En ce sens, Vincent et moi représente un bel exemple d’appropriation du pouvoir d’agir.
DIFFÉRENTES FAÇONS DE SOUTENIR LE RÉTABLISSEMENT
La reconnaissance du milieu artistique et culturel à l’égard des artistes de Vincent et moi se manifeste de plusieurs façons. Entre autres et à ce jour, 65 expositions ont permis de faire découvrir le travail des artistes vivant avec la maladie mentale au travers le Québec mais aussi à Vancouver et Paris. D’autre part, des personnalités telles John R. Porter, ex directeur général du Musée des beaux arts de Québec, Nelly Arcan, écrivain, Lise Bissonnette, ex-directrice générale de la Grande bibliothèque du Québec, et bien d’autres, ont associé leur notoriété au service de Vincent et moi. En septembre dernier, Vincent et moi, en partenariat avec la Ferme du Vinatier – Centre Hospitalier Le Vinatier – a lancé le Projet Rose des vents
(2) en Résonnance avec la 11e Biennale d’art de Lyon, en France. En mai 2012, le projet s’inscrira comme une activité satellite de la Manif d’art 6, biennale internationale de Québec.
La reconnaissance du réseau de la santé. En 2009, le programme d’accompagnement artistique Vincent et moi était finaliste au Prix d’excellence du Ministère de la santé et des services sociaux, catégorie Soins et services et reconnu comme Pratique exemplaire par le Conseil canadien d’agrément des services de santé, 2009. Quand on sait que Vincent et moi intervient seulement au niveau artistique et qu’il n’a aucune visée thérapeutique, il est intéressant de constater qu’il récolte des retombées notoires à ce niveau, résultante dont on ne peut que se réjouir!
Un soutien aux artistes pour leur rétablissement résulte bien évidemment de la philosophie d’accompagnement de Vincent et moi. Pour les personnes qui connaissent des artistes, les résultats de leur implication au programme sont souvent très éloquents. Mireille Bourque, artiste et porte-parole des artistes pendant plusieurs années s’exprime ainsi : « Pour moi, le programme Vincent et moi s’inscrit dans un processus de mieux être. C’est une ouverture de plus sur le monde. Ce n’est pas l’aspect psychiatrique qui prime dans le programme mais l’aspect artistique, l’aspect humain aussi. Je ne me sens plus marginalisée. Je ne me vois plus autant comme une patiente, mais comme une personne à part entière et de plus en plus comme une artiste. »
CONCLUSION
Vincent et moi a innové en faisant entrer la dimension artistique dans un endroit où on ne s’y attendait pas et en privilégiant une approche qui mise sur la personne et son processus de création. Les résultats et les bienfaits qui en émergent ne se posent-ils pas comme autant de sources d’inspiration et de réflexion sur le rôle que l’art peut jouer dans nos vies? Comment il peut influencer notre façon de voir le monde et notre façon « d’être » au monde? Quel que soit l’endroit, l’art réunit les gens à cause de son caractère indiscutablement émotif, humain. Il déborde largement l’espace de la matière, il invite à être le propre créateur de sa vie, à être davantage en contact avec son expérience. L’art lie et relie. En suivant ce chemin, les artistes de Vincent et moi sont allés à la rencontre d’eux-mêmes et se sont ouverts sur le monde. Il n’en tient qu’à vous de suivre leurs traces.
NOTES:
1. Vincent et moi tenait en novembre 2010, un premier Colloque International L’Art en marge à
l’Institut dont le sujet principal était une réflexion sur le statut d’artiste. La réflexion se poursuivra avec une 2e édition en avril 2013.
2. MOUVOIR/S’ÉMOUVOIR : Projet Rose des vents propose une intervention de l’artiste multidisciplinaire Giorgia Volpe au sein de l’Institut. À travers une œuvre participative et rassembleuse, l’artiste interrogera la relation de l’humain à l’institut de soin et invitera les utilisateurs de services, les membres du personnel et la communauté à créer ensemble un parcours artistique à l’intérieur et à l’extérieur de l’Institut.
..
|