Introduction
Le désir d’écrire un livre sur la liberté dans la relation affective m’a habitée pendant plusieurs années à tel point que je me suis demandé un jour : pourquoi écrire et pourquoi sur un tel sujet ?
L’acte d’écrire est essentiellement un acte créateur, un acte dialectique, au sens hégélien du terme, qui résulte d’une synthèse de la connaissance et de l’expérience, de la recherche et de l’inspiration et qui sollicite par le fait même la participation de la tête et du coeur. L’écriture est une forme d’expression qui force l’auteur à recueillir ses idées avant qu’elles ne deviennent évanescentes et à dégager son vécu de la trivialité auquel trop souvent il est destiné en raison de son caractère subjectif et non scientifique. On ne peut avoir une écriture véritablement humaine et profitable que si on structure ses pensées et habite son coeur et ce, quel que soit le genre par lequel on choisit de s’exprimer : roman, poésie, essai ou autre. L’écriture est donc facteur d’harmonisation de la raison et du sentiment tout autant que facteur d’harmonisation du passé, du présent et de l’avenir. Écrire c’est d’abord et avant tout se créer par l’élaboration d’une oeuvre qui participe à la création du monde.
Chaque fois que j’écris, je me découvre en rassemblant toutes les parties morcelées de mon être ; je me construis. J’accomplis ainsi un acte d’unification qui me rend plus cohérente, plus solide, plus novatrice. Par conséquent, l’écriture a, au sens large du terme, un effet thérapeutique incontesté. Elle est un des principaux facteurs de connaissance de soi et de libération de la personne humaine. Cette conviction résulte non seulement de mon expérience personnelle, mais aussi de celle de tous les étudiants qui, dans le cadre de leur formation avancée en psychologie au Centre de Relation d’Aide de Montréal, font une recherche systématiquement fondée sur l’expérience et la connaissance, recherche qui les a amenés au coeur de leur monde intérieur et a donné à tous des outils pour améliorer leur relation avec eux-mêmes et avec les autres, des outils pour cerner la voie de leur réalisation personnelle et professionnelle, des outils pour se connaître et pour devenir de plus en plus libres.
L’écriture, véhicule de cheminement accéléré, est le reflet et l’expression de celui qui l’utilise. Lire une œuvre, c’est non seulement connaître, mais c’est aussi se connaître et connaître celui ou celle qui l’a écrite.
Le professeur Michel Lobrot, qui fut mon directeur de recherche au doctorat à l’université de Paris, m’a fort impressionnée lorsque, au début de son premier séminaire, il a demandé à tous les chercheurs que nous étions, cette question que je me pose maintenant chaque fois que j’entreprends un travail d’écriture : «Quel est le lien entre votre sujet de recherche et vous ?»
Lobrot, qui avait bien compris le rapport indissociable entre la création et le créateur, a posé ce jour-là une question fondamentale parce qu’elle m’a axée sur l’essentiel et m’a empêchée de me perdre, comme le font de nombreux chercheurs, dans les méandres du pouvoir stérile de la théorie pour la théorie et du savoir pour le savoir. Au lieu de nous laisser planer dans des concepts abstraits et dispersés qui placent au-dessus des autres, du monde extérieur et de nous-mêmes, il nous a, dès le départ, canalisés, centrés, connectés à la réalité, c’est-à-dire à nous-mêmes et à notre relation avec le monde. Plutôt que de favoriser les discussions où chacun prend sa valeur dans l’étalage de ses connaissances, il a donné à chacun son importance en alliant connaissance et expérience. Notre langage avait ainsi un écho, une résonance pour les autres qui écoutaient vraiment plutôt que de chercher à intervenir en faisant étalage d’un savoir impressionnant ; ainsi les auditeurs ne moisissaient pas dans l’ennui chaque fois qu’on discourait. En réalité, l’expérience subjective individuelle est à l’origine de toutes les découvertes théoriques dans le monde des sciences humaines et, dissocier l’objectif du subjectif, c’est privilégier une approche dichotomique de l’être humain qui risque de perturber son équilibre psychique. D’ailleurs n’avez-vous jamais remarqué que celui qui s’exprime à partir de généralisations abstraites ne rejoint généralement que peu de personnes alors que celui qui s’exprime à partir de lui-même rejoint à peu près tout le monde ? C’est 1e paradoxe de la communication, ce paradoxe qui m’amène à me poser la question suivante : pourquoi écrire un livre sur la liberté dans les relations affectives ? Autrement dit, quel est mon propre rapport à la liberté ?
Quand j’ai commencé à prendre des notes sur ce sujet, je ne me suis pas demandé ce que je savais de la liberté, mais quelle était mon expérience de la liberté dans mes relations affectives.
Cette question m’a permis de comprendre pourquoi j’avais connu une adolescence difficile et de découvrir que ma souffrance d’enfant, d’adolescente et d’adulte était en grande partie causée par le fait que je donnais inconsciemment aux autres le pouvoir de m’enlever la liberté d’être moi-même. Cette souffrance dont je ne connaissais pas la source m’a maintenue dans un emprisonnement psychique qui a contribué à réprimer pendant de nombreuses années non seulement mes émotions et mes besoins, mais aussi mes potentialités créatrices.
C’est parce que j’ai appris dans ma famille à tirer un apprentissage de chacune de mes difficultés et de chacun de mes problèmes que mon expérience personnelle a été ma meilleure école de formation. Des théories sur le sujet, je n’ai retenu que celles qui m’ont rejointe de l’intérieur. Je crois d’ailleurs que la théorie n’atteint que ce qui est déjà vécu et expérimenté par ceux qui l’entendent ou la lisent. Elle est, de fait, le reflet de l’expérience d’une autre personne et c’est en cela, et en cela seulement, qu’elle peut rejoindre la nôtre et nous ouvrir de nouvelles portes sur la compréhension de nous-mêmes et du monde.
Ce livre sur la liberté dans la relation affective ne sera toutefois pas un long témoignage. Il sera surtout le résultat d’expériences personnelles et professionnelles. Mon histoire personnelle, ma carrière d’enseignante auprès d’adolescents, ma carrière de psychothérapeute, de créatrice d’une nouvelle approche de psychothérapie, l’approche non directive créatrice, et de formatrice internationale de psychothérapeutes non directifs créateurs serviront, avec mes connaissances en psychologie et en pédagogie, de principales ressources dans l’élaboration de cet ouvrage où, dans un premier temps, le sens donné aux mots «liberté» et au mot «relation» sera précisé.
Comme le manque de conscience de ce qui se passe en soi est souvent à l’origine de la dépendance et de l’asservissement, le deuxième chapitre abordera la notion d’inconscient et présentera une théorie de cette instance psychique qui tiendra compte de l’expérience présente et passée de la personne et qui permettra d’énoncer et de comprendre pourquoi et comment elle perd sa liberté dans ses relations affectives. Nous verrons ensuite quels sont ce que j’appelle les écueils qui l’empêchent d’être libre dans une relation et quels sont les facteurs qui lui donneront accès à la liberté personnelle et relationnelle.
Afin de donner à ce livre une dimension qui permette au lecteur intéressé, et ce, au-delà de la seule lecture, une réflexion plus personnalisée, j’ai intercalé des exercices de réflexion et d’application qui lui fourniront la possibilité de mettre en pratique, sur-le-champ ou plus tard dans sa vie affective, les principes naturels d’un fonctionnement sain et satisfaisant, gage d’une plus grande liberté.
À qui s’adresse ce livre ?
J’ai écrit cet ouvrage en pensant à tous ceux qui vivent des relations affectives avec leurs enfants, leurs parents, leur conjoint ou leurs amis dans lesquelles ils se sentent privés de liberté et aussi à ceux qui ne réussissent pas à connaître des relations affectives satisfaisantes et durables parce qu’ils ont peur de perdre leur liberté. Je l’ai écrit pour tous les gens qui s’aiment et qui n’arrivent pas à exister pleinement, à s’affirmer simplement ou à se dire authentiquement dans leur vie relationnelle. Je l’ai aussi écrit pour ceux qui prêtent aux besoins, aux désirs, aux idées et aux opinions des autres plus d’importance qu’à leurs propres besoins et pour ceux qui, par amour de l’autre, négligent «l’amour de soi».
En écrivant ces pages, j’ai aussi beaucoup pensé à toutes ces personnes qui, grâce à une éducation fondée sur le respect ou à un long cheminement intérieur et relationnel, ont trouvé la voie de la liberté profonde. Ceux-là trouveront dans ce livre un écho de leur expérience et un outil de confirmation et d’approfondissement. J’adresse aussi cette œuvre à toutes les personnes qui font de la relation d’aide et de la psychothérapie sous quelque forme que ce soit auprès des gens qui souffrent physiquement ou psychiquement, auprès de ceux qui vont mourir ou qui ne veulent plus s’accrocher à la vie, auprès de tous ceux qui cherchent à donner un sens à leur vie et auprès de ceux qui veulent apprendre à communiquer et à vivre des relations affectives propulsives et libératrices de potentialités. Je l’adresse aussi à tous les éducateurs qui travaillent auprès des jeunes et des moins jeunes, de ces enfants, élèves ou étudiants qui ont besoin de beaucoup plus que d’une ingurgitation de connaissances rationnelles et que d’une profusion de conseils, de leçons de morale et d’avertissements.
Aider ou éduquer quelqu’un c’est, à mon sens, lui permettre, par la relation même que nous avons avec lui, de connaître et de trouver les clés de sa propre liberté et non, par inconscience, d’entretenir les chaînes d’une dépendance malsaine. Le rôle de tous les aidants, parents, enseignants ou spécialistes de la santé physique et psychique, étant fondamental quant à leur contribution à l’épanouissement de la personne par l’éclosion du sentiment de liberté, je consacrerai la dernière partie de ce livre à ces personnes dont la mission est d’éduquer ou d’apporter une aide psychologique ou physiologique à ceux qui en ont besoin.
J’encourage tous les lecteurs de ce livre à aborder la lecture des pages qui vont suivre en portant leur regard sur eux-mêmes plutôt que de le lire en essayant d’utiliser son contenu pour changer les autres. La meilleure façon de créer un sentiment réel de liberté dans nos relations affectives et dans nos sociétés est de consacrer notre énergie à la recherche de liberté personnelle et intérieure. Aussi je souhaite que la lecture de cet ouvrage vous atteigne dans vos propres expériences, dans votre propre histoire et qu’elle éclaire, en vous signalant de nouvelles avenues, votre labyrinthe intérieur. Je souhaite surtout qu’elle vous rende la liberté dont a besoin toute relation affective qui se veut heureuse et réussie.
Par
Colette Portelance
Centre de Relation d'Aide de Montréal
Montréal, Québec, Canada
Publié par les Éditions du CRAM
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