La bibliothèque de psychologie de Psycho-Ressources |
|
|
||||||
Les ravages de l’individualisme et l’hédonisme. Cet égocentrisme exacerbé fait qu’au lieu de ressentir le couple sur le mode du « nous », ce qui prévaut c’est « moi, d’abord », et tant mieux s’il en reste pour l’autre, mais il est bien entendu que la plus belle part de gâteau est pour moi ! Si je ne trouve pas dans le couple ce que je veux, ce que j’attends, si l’autre ne répond pas exactement à ce que j’en attends, je pars, je casse le couple. Un peu comme l’enfant, dépité de constater que sa voiture ne va pas dans la direction qu’il lui avait donnée (une lame du parquet l’a déroutée), la jette, fou de colère contre le mur. Et la casse. Maintenant on fait un couple et on le défait sur un coup de tête : la génération kleenex jette quand ça ne convient pas. C’est dire que l’introspection spontanée, l’honnête remise en question, sont reléguées dans le grenier des objets désuets et inutiles. Ah ! L’hédonisme ! Quel Art de vivre ! Cette disponibilité aux bonnes choses que nous offre la vie, cette capacité à prendre soin de soi, (parfois même au mépris de l’autre), cette porte ouverte au véritable bonheur !...Cette merveilleuse capacité à tourner, pudiquement, le dos à tout ce qui gêne, dérange, peut mettre mal à l’aise, créer des contraintes (quelle horreur !), des devoirs (quelle injure!)… J’avoue être contre l’hédonisme, car dans notre société, le terme est galvaudé, dévoyé, et se rapproche plus du véritable cynisme, voir même d’une certaine perversité, que d’un véritable art de vivre. L’hédonisme, c’est la fermeture sur soi et les besoins pulsionnels. Ce qui nous amène à considérer l’Autre comme l’instrument d’accès à un bien-être personnel, qui au fond ne concerne que nous-même. Pas l’autre, ou si accessoirement ! Et quand on considère l’Autre comme un objet, on le déshumanise. C’est le pervers, qui ayant perdu toute la valeur de l’altérité, peut-être parce qu’il ne l’a jamais acquise, instrumentalise l’Autre. En le déshumanisant, il manifeste son manque d’humanité. La recherche du plaisir est une quête en elle-même, qui, pour certains à la valeur du Graal. Tant pis, si elle fait des victimes. J’ai eu, je l’ai eu. Et le problème de l’hédonisme est là : évoluer dans le registre de l’avoir et non de l’être. Parce qu’il est dans ce registre de « l’avoir », il est pure illusion. On n’a jamais rien, ni personne, ou alors, d’une façon si éphémère…Par essence, l’autre échappe à cet « avoir » que l’on voudrait poser sur lui. Quand bien même penserions nous l’avoir soumis totalement à notre désir, à notre volonté, que déjà il nous échappe en esprit, en pensées, en fantasmes, en sentiments. L’hédonisme est à nous même source de souffrances et de désillusions. La réalité de la vie à vite fait de nous rattraper dans cet espoir de vivre une vie exempte de peines, de contrariétés, de manques en tous genres. Sérieusement, pensions-nous vivre sans connaître le malheur, le doute, le désespoir ? Pourrions-nous apprécier le jour, s’il n’y avait la nuit ? Où serait l’appétence au bonheur, si nous ne connaissons que cela ? Nous en oublierions sa saveur, tellement nous en serions saturés… Derrière cette frénésie du plaisir, du bonheur à tout prix, se tapie une terrible angoisse de mort ou une intolérance à la frustration. L’angoisse de mort est « d’humaine nature » : il nous faudra apprendre à vivre- tout- pour ne plus y être soumis. L’intolérance à la frustration révèle une difficulté à grandir, à devenir adulte. Mais difficulté ne signifie pas impossibilité. Il y a donc, dans tous les cas, une évolution possible, un espoir. Et pourtant, des difficultés, même les couples les plus aimants, les plus sincères, les plus authentiques, en rencontrent. Nous entrons tous dans la vie à deux avec amour et désir de réussite. Ou alors, on reste à la porte, on ne la pousse pas, c’est plus raisonnable. Mais, même avec cet amour et ce désir de réussite, nous avons au fond de nous une image « fixe » du couple, une sorte d’instantané. Cette photographie que nous imprimons au plus profond de nous, nous fait croire , penser, que le couple que nous formons aujourd’hui sera éternellement le même. C’est faire fie du temps qui passe et laisse son empreinte, sa patine, sur toute chose. Votre couple s’est « patiné », à l’image des objets qui vous entourent, de votre corps, de votre visage… Et c’est peut-être cela qui lui confère encore plus de beauté, suscite, éveille, encore plus d’émotion. Mais vouloir quoi ?
Vouloir des choses simples. Vouloir du bien à l’autre, vouloir lui donner une plage sur laquelle il peut être lui-même sans risque, se dévoiler- un peu, pas trop, cela nuirait à l’amour même... Vouloir faire un bout de chemin, parfois, quelle chance ! Tout le chemin de notre vie, partager le meilleur, donc donner d’abord, sans tenir de livre de comptabilité. Et puis, soutenir, aider l’Autre, lui permettre de grandir, d’évoluer, de développer tout son potentiel. Vouloir lui laisser sa marge d’autonomie, afin qu’il puisse continuer à exister en tant que personne dans le couple. Nous serions le premier perdant si nous ne faisions pas cela, car nous priverions notre couple de sa substance même, de ce qu’il fait qu’il est vivant.
C’est décider de le respecter ; d’accepter donc une certaine distance, un certain « no man land », auquel nous n’aurons pas accès. Ne pas l’étouffer. Tout comme l’arbre, votre couple va vivre plusieurs saisons, toutes différentes et spécifiques. A chaque saison les besoins vont évoluer : le printemps de votre vie de couple se vit souvent dans l’éblouissement de l’éclatement des bourgeons, de l’éclosion des fleurs, des promesses de fruits. L’été donne ses fruits, et comme tel occupe beaucoup : parfois, on éprouve le sentiment que l’on passe plus de temps à s’occuper des fruits que de l’arbre lui-même. L’automne, les fruits à maturité sont récoltés, et l’arbre, dans ses dernières splendeurs, avec un peu de nostalgie, un peu de peur, se prépare à entrer dans l’hiver. L’hiver lui sera doux, si il a été bien soigné, bien traité.
Par Martine Teillac, Psychanalyste, Psychothérapeute, Paris, France |
Ce texte est la
propriété de Martine Teillac. Toutes reproductions sans
l'autorisation de l'auteur est interdite. |