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Fonction de la parenté dans la violence faite à l’enfant

Par Illel Kieser El Baz

Psychothérapeute, Psychologue clinicien, Toulouse, France

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Fonction de la parenté dans la violence faite à l’enfant

L’enfant victime innocente subit et, dans le crime, il ne peut rien faire d’autre que guetter pour arracher à son enfer une maigre portion de quiétude dans laquelle, pas à pas il construira sa vie. Le rôle des parents, en plus de leurs devoirs matériels, nourriciers, est d’assurer à leur enfant la meilleure transition possible de l’état d’inconscience à celui de la conscience. Éveiller la conscience de l’enfant c’est autant lui transmettre un savoir qu’une morale. La finalité de cette transmission est de permettre à l’enfant de savoir puiser dans ses propres ressources quand sera venu le temps du grand sevrage, celui de l’élan définitif vers l’état adulte. À ce moment, les parents seront passés du statut de personnage de chair à celui de symbole. Le nouvel adulte pourra puiser dans son propre patrimoine psychique l’énergie dont il aura besoin pour accomplir les tâches qu’il se sera assigné en toute liberté de conscience.

Mais la question se pose de savoir ce qui se passe quand l’enfant subit de violents traumatismes durant son enfance, voire plus tôt, dans la petite enfance.

Complexe d’Œdipe et Inconscient collectif

Selon C. G. Jung, la relation entre parents et enfants est placée sous le signe d’influences réciproques, le plus souvent d’Inconscient à Inconscient. La notion de contamination psychique est familière de l’univers conceptuel de Jung.

Il observe en premier lieu que pour « le jeune homme, c’est le rapport qui l’unit à la mère qui exerce une influence déterminante ; pour la jeune fille, celui qui l’unit au père. En premier lieu, c’est le degré de fixation aux parents qui influence, favorise ou entrave inconsciemment le choix des époux » (1).
Il note également que « la mère influence l’Eros du fils, tandis que le père influence le Logos de la fille et ce, parfois, jusqu’à une intensité pathologique » (2). En introduisant la notion de double opposé au conscient — Animus, Anima — la représentation que nous pouvons avoir des liens Conscient/Inconscient devient plus dynamique (3). 
Ce n’est pas tout !
Jung poursuit : « rien n’a plus d’influence psychique plus puissante sur l’entourage de l’homme, et surtout sur les enfants, que la vie que les parents n’ont pas vécue » car « l’enfant est à tel point inséré dans l’atmosphère psychologique de ses parents sur leurs difficultés psychiques non résolues peuvent exercer sur sa santé une influence considérable » (4). 

Parlant de ce bain d’impressions et d’émotions dans lequel baigne l’enfant, Jung affirme que « les premières impressions de l’enfant accompagnent l’homme tout au long de son existence et que certaines influences éducatrices ont le pouvoir de la maintenir, tout au long de sa vie, dans certaines limites. On ne saurait donc s’étonner de voir surgir des conflits entre la véritable personnalité et celle qui a été formée par l’éducation ou l’influence du milieu. Ce conflit est le lot de tous ceux qui sont appelés à une vie indépendante et productrice » (5). 

Loin de confiner l’individu dans ce réseau d’influence, Jung assigne une fonction précise à la thérapie : « la thérapie ne commence qu’à partir du moment où le malade se rend compte que ce ne sont pas son père et sa mère qui lui barrent la route, mais que c’est lui-même, c’est-à-dire une partie inconsciente de sa personnalité, qui prolonge et perpétue le rôle du père et de la mère » (6). 
Nous voyons déjà que le Complexe d’Œdipe et ses incidences incestueuses peuvent s’imposer à l’individu jusqu’à des conséquences pathologiques. Jung se situe, dans ce cas et pour l’instant, dans l’Inconscient personnel.

Ses travaux de psychiatre l’ont aussi amené à considérer qu’il existait une composante de la personnalité qui allait bien plus loin dans l’histoire que l’Inconscient personnel. « L’image personnelle est dotée d’une énergie extraordinaire ; elle influe sur la vie spirituelle de l’enfant à ce point qu’on est obligé de se demander s’il est permis d’attribuer à un être humain ordinaire une telle puissance magique. Il est notoire cependant qu’il la possède. Mais alors la question se pose aussitôt de savoir si cette puissance est véritablement son bien propre » (7). 

Ces considérations le conduisirent très vite à concevoir l’existence de deux images forces qui seraient au-delà du père et de la mère biologiques. Il les a nommés archétype paternel et archétype maternel.

L’archétype paternel

« Derrière le père, il y a l’Archétype du Père et, dans ce type préexistant, se trouve le secret de la force paternelle. (8)» 

Au tout début de la vie, « c’est le père individuel qui incarne véritablement l’Archétype qui donne à sa figure une force fascinante. L’Archétype agit comme un résonateur qui intensifie jusqu’à la démesure des effets partant du père si toutefois ils concordent avec le type existant ».

Mutatis mutandis, le père est, pour la fille, l’anticipation de l’Animus qui lui convient et expression de sa force intérieure par laquelle elle s’affirme dans la société et qui lui permet d’échapper à une passivité que la société de type patriarcal lui assigne.

L’intuition nous porte à nous demander ce qui se passe quand ce père biologique — ou son substitut — intervient violemment et lèse gravement ce pont qu’il représente de lui à l’archétype du père. C’est toute la ressource de l’Inconscient que de projeter alors les images de père sur des substituts moins dangereux. L’amour que l’enfant portait à son père s’oriente alors « vers les forces supérieures du Père, vers ‘l’autorité’, les ‘Pères de l’Église’ et vers le dieu paternel dont ils sont aussi, pourrait-on dire la représentation sensible » (9). Détournement de la libido qui peut s’avérer libérateur ou nouveau piège. Si la société préserve des valeurs transcendantes qui constituent le ciment sur lequel se bâtit la culture, nous pouvons évoquer un possible allégement des souffrances. Mais, comme c’est le cas actuellement, si la société foule au pied les valeurs éthiques antérieures, la personne qui aurait subi l’inceste se trouve suspendue entre deux dangers, l’un intérieur dû à l’introjection de l’image de l’archétype paternel, l’autre extérieur car les valeurs paternelles d’autorité, d’ordre se trouvent gravement dévoyées. Si la loi collective est détournée, voire violée, l’individu ne peut trouver de recours que selon les hasards de sa vie. 

Si « l’archétype représente l’autorité intérieure, le besoin intérieur d’accepter la loi immanente et d’y obéir, au lieu d’être subjugué par la puissance extérieure », la société, se construisant sur une lente sédimentation de valeurs morales, doit permettre aux individus de trouver justice et liberté et d’épanouir leurs forces créatrices (10). Il en résulte que l’altération, voire la disparition de ces valeurs morales, place un individu blessé dans une position extrêmement inconfortable. Les modèles de substitution, au lieu de se consteller, se fractionnent, exposant la conscience au danger du morcellement. L’être doit alors se protéger de ce danger. On devine alors que les mécanismes de défense vont se fortifier.

Si l’archétype du père est activé positivement grâce à une attitude conciliante et compréhensive du père à l’égard de l’enfant, celui-ci peut trouver en lui des images de sagesse, d’assistance et d’ordre qui lui permettront d’affronter les aléas de la vie.

Si le père est un tyran, voire un véritable prédateur couard et sournois, l’archétype paternel exerce une pression tyrannique sur la jeune conscience de l’enfant. Il maintient l’individu dans une inertie puérile qui n’ose pas affronter le monde extérieur et les contenus du monde intérieur. L’enfant, pris par la crainte de son père, aura tendance à se réfugier dans une puérile inconscience et un refus plus ou moins obstiné d’affronter la vie.

Dans un processus habituel celui d’une famille « normale », c’est vers la mère que l’enfant se réfugie. Celle-ci représente, en effet, l’Archétype maternel, protecteur et nourricier. 

Nous comprenons alors la difficile position du jeune enfant pris dans les filets du prédateur et incapable de chercher un asile protecteur auprès de sa mère qui ne veut pas voir ou qui ferme carrément les yeux. La situation empire si c’est la société elle-même qui refuse d’accueillir la parole de l’enfant. Deux forces archétypiques sont gravement blessées chez lui. C’est ce dont doivent prendre conscience les organisations qui s’occupent de l’accueil de ces enfants ainsi que leurs « parents protecteurs ». Cet enfant là aura très tôt besoin d’un havre dans lequel il pourra, vaille que vaille, retrouver un minimum de confiance en la vie. Or cette confiance ne peut pas revenir « naturellement ». Elle en va pas de soi car les piliers tutélaires de la psyché se sont avérés malfaisants. Nous devons savoir aussi que cela ne suffira pas car la fixation dans cette position de refus puéril — ici nécessaire et réparatrice, si elle dure, bloquera toute tentative d’immersion dans le monde. Il existe des étapes pour aider ces enfants à sortir d’un tel enfer, ne pas en tenir compte peut s’avérer gravement préjudiciable à leur futur épanouissement.

Et je ne parle ici que des victimes qui auront cette chance d’être extraites très vite des griffes du prédateur. Pour quelques unes ainsi sauvées, combien continueront de subir en silence ?
Nous le devinons donc, si, dans certains cas, le refuge dans le paradis maternel peut s’avérer salvateur, ce n’est qu’une solution provisoire car il faudra plus tard s’extraire des bras de l’Archétype maternel.

L’Archétype Maternel

« L’enfant est empreint d’amour et de confiance à l’égard de la mère qui le nourri, le soigne et le caresse. (11)» C’est auprès de sa mère que l’enfant trouve une certaine sécurité affective dont il gardera la nostalgie toute sa vie. Comme le père pour l’Archétype paternel, la mère est la première porteuse, ou la représentation, de l’Archétype maternel. Encore une fois, c’est la mère… Mais Jung a toujours précisé : « on est toujours impressionné par l’importance apparemment prépondérante de la mère personnelle… Disons de suite, par anticipation, que ma manière de voir se distingue dans son principe de la théorie psychanalytique en ce que je n’attribue qu’une signification relative à la mère personnelle. Cela veut dire que ce n’est pas simplement la mère personnelle qui constitue la source des toutes les influences sur la psyché enfantine décrite dans la littérature, mais bien plutôt l’Archétype projeté sur la mère qui donne à celle-ci un arrière plan mythologique et lui prête ainsi autorité et numinosité (12)». 

Nous retrouvons dans l’Archétype maternel les attributs associés à la plupart des déesses mère : bonté tutélaire, nourricière et généreuse, orgastique, maîtresses des émotions mais également redoutable pour celui qui se laisserait piéger par leur sollicitude. La Terre nourrit mais la terre a besoin des Hommes pour la cultiver. La Terre ne laisse aucune place à celui qui attendrait tout d’elle. Une Terre qui ne serait pas cultivée serait une terre violente et dangereuse. Dans son expression la plus transcendante, l’Archétype maternel se projette sur la Grande Déesse Mère, sur la Sophia des Grecs — la Sagesse de la Nature — dont le témoignage se trouve au-delà de la raison. C’est dans les religions orientales et asiatiques que nous ne trouvons le plus belles figurations. Mais les contes de fées regorgent de représentations ambivalentes de la Grande Mère la Terre. Les ogresses, les sorcières nous dévoilent un aspect paradoxal de la nature humaine confrontée aux grandes forces telluriques : Baba Yaga, dans les contes russes, n’est pas une ogresse comme les autres. Il faut, face à elle, savoir ce que l’on veut, ne pas céder à la première impulsion, celle que nous dicterait la vanité de la Conscience… Baba Yaga honore et aide les héros qui lui tiennent tête et qui savent exactement ce qu’ils veulent.

Parallèlement à l’image de la Nature, la Mère impersonnelle se confond avec celle de l’Inconscient. « Il apparaît, en dernière analyse, que les effets du Complexe Maternel ; si on le dépouille de la diversité des individus, se rapporte à l’inconscient. (13)» 

Ce qui constitue un embryon de représentation du monde dans laquelle conscient et inconscient occupent un rôle opposé et complémentaire. Au début de la vie, l’Inconscient contient en germe le Conscient dont le centre deviendra le petit ego — le Moi, dont le rôle sera de se plonger dans le monde avec le maximum de discernement et de forces. 

L’état d’inconscience précède et génère l’état de conscience (14). Il découle de cette cosmogonie que l’Inconscient est ressenti comme étant la mère du Moi. Cette Mère universelle constitue le substrat d’origine à partir duquel s’effectue la mise au monde. Cette dernière s’opère de manière favorable et élance l’enfant vers son autonomie et une certaine élévation éthique et spirituelle...

Que cet élan soit coupé et la conscience ne peut naître vraiment, l’individu reste confiné dans des comportements mimétiques qui s’organisent en dehors de son instinctivité. Le conscient demeure sous l’océan de l’Inconscient. C’est d’ailleurs le thème de nombreux thèmes dont le sens tourne autour de cette question d’une « renaissance ». Nous avons en effet deux mères et il nous est « imposé de naître » deux fois !

Tout individu demeure donc écartelé entre deux tendances (15) opposées en finalité.
D’une part nous aimerions demeurer dans la paradisiaque inconscience de « petit enfant qui n’a pas encore ri », c’est-à-dire qui n’est pas encore déchiré par l’antagonisme Conscient/Inconscient et non soumis aux obligations et responsabilités de l’existence.

D’autre part, la tendance voulue par notre propre nature de réaliser sur le fil du rasoir nos propres forces potentielles en leur donnant le maximum de possibilités d’épanouissement. Cette pulsion instinctive d’élan vers le monde et la vie, c’est la « fonction transcendante » (16). Cette fonction, telle un pont surmonte le ravin béant, la discontinuité séparant le Conscient de l’Inconscient. C’est un processus naturel et un de ses symboles est le caducée.

L’Archétype Maternel peut être aimant ou terrible. Ses représentations vont de la sorcière à la Sophia en passant par de multiples images intermédiaires.

Shri Aurobindo écrit au sujet de la Mère : « La mère divine, ne tolérant pas l’imperfection, traite rudement dans l’homme toute mauvaise volonté et elle est sévère pour qui demeure obstinément aveugle, ignorant et obscur ; son courroux est immédiat contre la traîtrise, le mensonge et la méchanceté ; le mauvais vouloir est à l’instant frappé de son châtiment.(17) » 

La conscience doit s’extraire des bras de la Grande Mère, poussée en cela par la Fonction transcendante. L’être humain doit donc vaincre en lui la crainte qu’il a de cet archétype, pour cela il lui faut disposer d’une puissante motivation pour s’extraire de la gangue de l’Inconscient.

Si, par contre, l’Ego ne parvient pas à surmonter son désir de demeurer dans le paradis de l’enfance, il sera anéanti, englouti par les flots de l’Inconscience et il demeurera aveugle tel Œdipe.

Le monde apparaît à l’homme quand il le découvre. Il le découvre quand il consent à sacrifier la « Mère », c’est-à-dire quand il se libère des brouillards de l’Inconscience et qu’il s’extrait de la fusion avec cette « Mère ».

Revenant à nos innocentes victimes d’inceste nous comprenons combien, pour elles, la résolution des problèmes ne se confine pas à un accueil chaleureux chez des « parents protecteurs » ni à des approches de surface. Nous devons pourvoir suivre les méandres de la libido tout au long de la vie de ces êtres devenus adultes car les puissances de l’ambiguïté dans laquelle ils se trouvent placés peuvent se révéler au moindre « accident » de parcours, à la faveur de la moindre déstabilisation.

Illel Kieser El Baz, 
Psychothérapeute, Psychologue clinicien
Toulouse, France
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Notes:

1 — Problème de l’âme moderne, traduction Roland Cahen, Buchet Chastel, 1960, p. 303.
2 — Psychologie et éducation, Traduction Roland Cahen, Buchet Chastel, 1963, p. 214.
3 — Marie Louise Von Franz a beaucoup insisté sur les relations du conscient avec son double opposé dans ses ouvrages. Lire notamment La femme dans les contes de fées, op. ci.
4 — Métamorphose de l’âme et ses symboles, Traduction Yves Le Lay, Georg, 1958, p. 317.
5 — L’âme et la vie, Trad. R. Cahen, Éd. Buchet-Chastel 1963, p. 400.
6 — Psychologie de l’Inconscient, Trad. R. Cahen, Éd. Georg 1952, p. 120.
7 — Psychologie et éducation, op. cit., p. 230.
8 — Psychologie et éducation, op. cit. p. 237.
9 — Ibid. p. 240.
10 — Études de psychologie jungienne, Gh. Adler, Trad. Fearn et Leclercq, Éd. Georg 1957, p. 33.
11 — La guérison psychologique, Trad. R. Cahen, Éd. Georg 1953, p. 167.
12 — Les racines de la conscience, Trad. R. Cahen, Buchet-Chastel 1971, p. 98.
13 — Les racines de la conscience, op. cit. , p. 120.
14 — Voir plus haut la déclinaison que je fais de cet aspect, à partir d’une figure commune de la Grand-mère, le Loup, que nos sociétés technologiques ont transformé en robot, glacial et impersonnel.
15 — À rapprocher du concept d’ambitendance psychiatrique de Bleuler, (1904).
16 — Voir au chapitre suivant.
17 — La mère, Éd. Adyar 1950, p. 40.
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