Yoga en Prison
Les apports de la pratique du yoga en détention dans le processus de réinsertion des détenus*
Par
Richard Sada,
Psychothérapeute, Maître de Yoga, France
| Voir ma page
Psycho-Ressources |
Texte complet en version PDF
*
Rédigé dans le cadre du diplôme universitaire « Licence
professionnelle Coordination de projets de développement socioculturel en
milieu urbain »
Yoga en prison
Préface
J’ai toujours fait en sorte de rendre compte des événements en les
rendant présentables.
En même temps, je veillais à ce que le contenu, la substance, c'est-à-dire
l’essentiel des informations, ne soit pas dilués.
La prison abrite une grande douleur, incompréhensible. Mais le soin peut y
produire son effet, même si cela prend un peu de temps. Dans ce lieu, toute
personne vit dans un conflit total, un cauchemar permanent où tout est confus.
On attend du prisonnier qu’il réfléchisse et qu’il change. En réalité,
les dégâts de la prison sur son physique et sur son psychique sont plus sûrs
que jamais. On ne peut en rejeter la faute ni sur les surveillants, ni sur
l’administration, pas plus que sur les avocats, les juges, les médecins, les
travailleurs sociaux... Pour eux aussi, ici les dégâts sont réels et
certains, une tache, une brûlure sur la vie, ineffaçable pour toute personne
qui se trouve dans ce lieu. Aucun d’eux ne détient la réponse pour apaiser
sa souffrance. Chacun doit se prendre en charge lui-même pour surmonter ou
vivre avec sa douleur, se maintenir dans la vie, attendre. Le temps est long
ici.
En tant qu’animateur de yoga, je me suis totalement remis en question quant à
ma pratique yoguique : cette pratique a-t-elle sa place dans la vie d’un détenu
? Je suis conscient de ne pouvoir prétendre que mes cours ont eu un impact
utile pour les prisonniers auxquels j’ai transmis la pratique du Yoga. Ce qui
est sûr, c’est que ce fut une riche expérience, à tous points de vue.
J’ai observé, j’ai cherché, j’ai questionné, j’ai conçu le cours de
yoga sur mesure. J’ai mené des entretiens instantanés et variés, j’ai dû
inventer pour soulager mes élèves détenus et provoquer sur leur visage le
signe d’un étonnement, d’un sourire. J’ai ressenti ma propre humanité
dans mon rôle d’animateur de yoga et sa place, surtout dans l’atelier de
yoga en détention. C’est un bon projet, non seulement pour les détenus, mais
aussi pour le SPIP (service pénitentiaire d’insertion et de probation), pour
l’administration pénitentiaire elle-même, dans leur capacité à répondre
aux détenus vers la reprise d’une vie sociale.
La pratique du yoga est solitaire, individuelle, personnelle. Elle interroge,
elle implique, elle transforme l’individu. C’est la raison pour laquelle
j’ai pensé qu’elle correspondait tout particulièrement aux besoins du détenu
en longue peine, pour se réconcilier avec lui-même, avec ses conflits,
retrouver de l’espoir à l’intérieur de cet isolement sans solutions, vivre
dans son cœur avec les imaginations positives, préserver sa santé sans perdre
l’espoir de la vie, elle-même éphémère.
Toute personne qui se trouve à l’intérieur de l’établissement, permanent
ou de passage, ne peut rester insensible à cette souffrance. Tous ont exprimé
leur soutien à mes interventions, même si au départ, ils s’étaient montrés
étonnés.
Ceux qui restent dehors, comme les familles des détenus, ne peuvent rien
apporter. Ils ne peuvent que s’apitoyer sur leur incapacité à changer quoi
que ce soit à la situation. Pourtant, il revenait à mes oreilles tout le
bienfait que l’atelier de yoga apportait aux détenus. Les familles savaient.
J’ai beaucoup de chance. J’ai eu une grande opportunité d’animer cet
atelier de Hatha-Yoga Simplifié dans la prison auquel j’ai associé les
techniques de libération émotionnelle, d’EMDR, de visualisation et
imagination positives… et toute invention spontanée inspirée de l’immensité
du corpus du yoga traditionnel, face à mes élèves détenus, capable de les
apaiser, de leur rendre accessible et assimilable les bienfaits de la pratique
du yoga.
Après le cours de yoga en détention, pour toute personne qui avait participé
ne serait-ce qu’une seule fois, ils m’ont confié que plus rien n’avait été
comme avant.
*
* *
Les
apports de la pratique du yoga en détention dans le processus de réinsertion
des détenus Identification et structuration des retours d’expérience de
l’atelier de yoga de la maison d’arrêt de Gradignan
Richard SADA
Dans le cadre du diplôme
universitaire « Licence professionnelle Coordination de projets de développement
socioculturel en milieu urbain »
Partie 2
Approcher la profondeur de la souffrance du détenu
La personne en situation de détention souffre. Le détenu, quels que soient son
histoire, ses parcours, sa culture, son délit ou son crime, endure de multiples
frustrations liées à la privation de liberté mais aussi à tous les pouvoirs
qui s’exercent sur lui à travers elle. Pouvoir des juges, celui de
l’autorité carcérale, celui des petits chefs et de la hiérarchie, qui règne
au sein de la communauté des détenus tout autant que de celle des
surveillants.
Soumis
à des tensions incessantes, l’individu incarcéré est sujet à un stress qui
l’étreint sans relâche. Les conséquences sur sa santé physique et
psychique, sur son lien social, sur son aptitude à réfléchir et à
s’investir sont désastreuses.
La
prison est un lieu où la maladie est présente au quotidien, avec un parfum de
mort qui plane. Le suicide y est fréquent. C’est un lieu impénétrable d’où
rien ne doit transparaître.
Comprendre les sources de la violence carcérale, explorer la profondeur
insondable de la détresse du détenu, de son espoir éteint, de son goût pour
la vie perdu, permettra de mettre en perspective la providence que constitue la
discipline du yoga pour ces êtres plus démunis entre tous.
Les privations liées à l’incarcération
Pensez
à la tension que peut provoquer sur vous le simple fait d’avoir été bloqué
30 mn dans un embouteillage, vous faisant arriver au bureau en retard. Etre
bloqué, empêché, ne pas avoir le choix, crée sur l’individu une pression génératrice
de stress.
La
personne détenue est comme vous et moi. Elle n’a ni plus ni moins de capacité
à supporter la privation de ses possibilités d’agir. En tout cas, ce ne sont
ni son sentiment de culpabilité, ni la crainte de la punition qui peuvent
augmenter cette capacité.
Pour
Véronique VASSEUR, « la prison est la privation de liberté. Il est inutile et
en plus inefficace d’y ajouter l’humiliation. La pensée judéo-chrétienne
qui prône la rédemption par la souffrance a oublié une évidence
psychologique : la souffrance et l’humiliation rendent haineux, vengeur et
poussent à la répétition. Ce n’est pas dans un rapport de violence et de
force que l’on peut se reconstruire, s’amender et faire un pas vers la société.
»
Placé
en détention, l’individu se trouve confronté à toutes les privations.
La privation de satisfaire ses besoins essentiels
Ce
que nous ignorons, c’est à quel point, dans une vie normale, libre, en milieu
ouvert, nous avons la capacité de satisfaire avec facilité et dans la quasi
immédiateté, la plupart de nos besoins essentiels, boire ou manger, être en
relation, nous déplacer.
La
personne détenue ne peut manger quand elle a faim, circuler au moment où elle
en ressent le besoin, parler quand elle sent le besoin de communiquer. Elle est
dépendante d’une organisation qui l’oblige à attendre l’heure de la
distribution des repas, l’heure de la promenade, l’heure de la distribution
des médicaments, la disponibilité d’un surveillant pour demander quelque
chose.
En prison, quel que soit votre besoin, vous devez d’abord demander. Vous
n’avez aucun moyen de pouvoir, en toute autonomie, produire la réponse à
votre besoin.
Chaque
fois qu’il souhaite ou doit entrer en contact avec d’autres personnes, le détenu
doit demander une permission par écrit.
Ce
fonctionnement favorise une forme d’infantilisation, ôtant peu à peu à
l’individu ses capacités d’initiative et d’autonomie.
La privation d’espace et d’intimité, la promiscuité avec des personnes
non choisies
La
description d’une cellule a quelque chose d’effrayant dès lors qu’on
imagine 2 à 3 personnes devant se partager cet espace réduit 22 h sur 24.
Voici
celle qu’en fait le CGLPL lors de son audit à la maison d’arrêt de
Gradignan, en 2009 :
" Les cellules
individuelles ont une surface d’environ 8,5 m² et comportent deux lits
superposés. Le plus souvent, elles sont occupées par trois personnes. Chaque
cellule dispose d’un WC encloisonné d’environ 0,8 m², d’un lavabo avec
eau froide, et de cinq étagères superposées en béton de 40 cm de côté,
disposées à moins de 30 cm du pied des lits ; cette disposition ne permet pas
de se positionner en face des étagères pour accéder aux objets qui y sont déposés.
Un radiateur est fixé au mur à l’intérieur du box des WC, ce qui empêche une diffusion correcte de la chaleur dans la cellule. Une table en bois d’environ 1,2 m sur 60 cm est scellée au mur.
La cellule dispose d’un poste de télévision et d’un réfrigérateur, sous réserve que les détenus en acceptent les conditions de location.
Sauf au premier étage, une étagère en bois à deux niveaux, d’environ 1,2 m sur 1,2 m, est accrochée au mur ; une poubelle, une balayette et une pelle à poussière sont remises dans chaque cellule ; un tabouret en plastique est mis à la disposition de chaque détenu. La plupart des cellules ne disposent pas de brosse pour nettoyer les WC. L’éclairage au plafond est le plus souvent une ampoule nue démunie de toute protection et généralement tamisée par les détenus à l’aide de feuilles de papier."
Lisez
le texte complet en version PDF -
Cliquez ici
|