L’Homme qui voulait enfanter.
Raoul Garnier. Éditions L’Harmattan. France
Présentation de l’ouvrage:
– https://aws.psycho-ressources.com/blog/homme-qui-voulait-enfanter/
EN GUISE DE POSTFACE
Par Elisabeth Gontier
* Quand Raoul Garnier, ami de longue date, m’a demandé s’il m’était possible de rédiger la postface de son troisième ouvrage, nous avons envisagé de la présenter sous forme de rencontre avec l’auteur.
Raoul, bonjour. Tu viens de terminer L’Homme qui voulait enfanter. C’est ton troisième livre ; à quelle époque de ta vie as-tu commencé à penser à écrire ?
Il y a longtemps déjà, sans doute dans une période qui correspondait au mitan de ma vie, j’avais pensé à écrire des nouvelles, mais en l’occurrence, le facteur déclenchant a été le décès de ma mère : je n’aurais pas écrit si je n’avais pas voulu expurger nos relations de leur dimension conflictuelle… il fallait que je me déleste de tout ça… Sa disparition a aussi permis que je puisse quitter mon masque et commencer à vivre en authenticité, d’autant plus que la société n’était plus un frein à mon coming out puisque j’avais pris ma retraite. C’est vrai que quand on est encore en activité, on doit aux autres ce qu’on devient dans la vie professionnelle ! L’écriture m’a alors permis une sorte de révision de vie sans jugement moral, c’était un mouvement d’introspection. J’avais acquis le goût du « dire juste », de chercher le mot juste pour être au plus près de ce que je voulais exprimer. Ce qui m’intéressait aussi dans l’idée d’écrire, c’était aussi la possibilité de régler mes comptes avec un certain usage trop conventionnel du langage… Ces trois livres, c’étaient mes tripes qui parlaient !!! (rires).
Tu voulais peut-être te débarrasser de ce qu’on appelle « le bla-bla » pour te saisir de la possibilité de dire des choses plus essentielles ?
Oui, je crois qu’à une époque, j’avais le souci de plaire, et c’est ça qui me bloquait : j’étais toujours sous l’influence de la relation à ma mère. « Quoi dire pour plaire, quoi dire pour qu’on m’aime toujours ? »… et puis je me suis débarrassé de cette contrainte.
Y a-t-il des auteurs qui t’ont donné envie d’écrire ?
Je ne pourrais pas citer de nom précisément… actuellement par exemple, j’ai plein de lectures en chantier, mais je suis surtout plongé dans Le Nazi et le psychiatre. A la recherche des origines du mal absolu. C’est l’histoire d’un psychiatre désigné par le tribunal de Nuremberg qui essaie de comprendre jusqu’où et pourquoi les autorités allemandes sont allées dans le mal. Tout ce qui touche à l’homme au sens générique du terme, dans son intériorité, dans son fonctionnement, m’intéresse, peut-être parce que ça m’aide à réfléchir sur mon vécu. Et aussi, quel que soit l’écrivain, j’étais sensible au « dire juste » dont nous venons de parler.
As-tu un livre de chevet ? Si tu partais sur une île déserte, quel livre emporterais-tu ?
Le livre vers lequel je reviens régulièrement depuis des années, c’est Le Prophète de Khalil Gibran, c’est ressourçant, c’est apaisant. Sur une île déserte ? Je partirais avec un dictionnaire comportant les difficultés de la langue française, plus un crayon, plus du papier, et plus une gomme… Je ne sais pas si je survivrais avec ça !! Mais ça serait un peu ma dernière nourriture…
Ah… est-ce qu’on ne peut pas dire justement que tu as survécu au travers de l’écriture de ces trois livres qui s’achèvent avec L’homme qui voulait enfanter ?
Je crois que c’est possible, ça m’a aidé à vivre, à passer des caps difficiles, et maintenant, même si j’ai fait encore un accroc de santé, je vais pas trop mal, je vais pas trop mal… là j’ai encore des troubles du rythme cardiaque et c’est vrai qu’il y a des facteurs génétiques, mais je me dis que mon histoire personnelle a dû favoriser ceux auxquels j’étais prédisposé (rires), je me dis : « dans quelle mesure est-ce que je n’ai pas empêché mon cœur de battre normalement ? » (rires)… Voilà, c’est mon explication… je ne dis pas ça à mon cardiologue parce qu’il me prendrait pour un je ne sais pas quoi !! Je crois que c’est ça, j’ai contrarié ma vie et par là-même mon cœur, là où il voulait aller.
Mais c’est du syndrome broken heart que tu es en train de me parler !
Oui, moi je refuse le hasard, je me dis qu’il y a toujours une explication, soit nous la trouvons dans un élément signifiant de notre passé, soit ce hasard sera significatif à l’avenir. Tout est sens… et alors, s’il y a un Dieu qui gère tout ça, c’est fabuleux.
La psychanalyse a-t-elle tenu une place dans ta vie et dans ton désir d’écrire ?
La psychanalyse ? Certainement ! Il y a eu dans ma vie une première phase de quatre ou cinq ans d’analyse, une deuxième phase d’un ou deux ans. J’y allais parce que j’avais, disons, un problème avec LA femme d’une manière générale… un problème que j’avais envie de clarifier. Ça s’est passé comme toujours chez les psychanalystes, deux ou trois séances en face à face, et puis elle m’a dit : il va falloir songer à s’allonger ; je m’allonge et… elle me dit : « qu’est-ce qui se passe ? »… J’étais en larmes, le trop plein de souffrance se libérait et c’est sur MON PERE que j’ai pleuré alors que ma démarche était : « je viens pour ma mère ». J’ai trouvé ça quand même assez paradoxal ! Après, bon, j’ai parlé des deux, du père, de la mère, et c’était, je crois, poursuivre dans la connaissance de soi. J’ai été fasciné par cette démarche. S’il n’y avait pas eu psychanalyse, je n’aurais certainement pas écrit… Je ne puis écrire que si mes pensées viennent du plus profond de moi-même, de mes tripes comme je le disais tout à l’heure. Sinon, mon texte est mauvais.
Te souviens-tu du tout premier moment où tu as écrit les premières lignes du Choix du fils ? Est-ce que tu peux nous décrire ce moment inaugural de l’écriture ?
Il me semble que je n’ai pas grand-chose à en dire… Je me souviens de mon emplacement à la table, là, c’est quelques jours après le décès de ma mère… où j’écrivais encore avec le papier-crayon-gomme, j’avais l’ordinateur mais euh… je ne me sentais pas à même de taper sur le clavier en même temps que mes idées apparaissaient. Les sentiments qui m’habitaient à ce moment-là ? L’écriture du Choix du fils, ça s’est fait dans la souffrance, dans la douleur, dans les larmes… je sortais les différents objets ayant appartenu à ma mère. C’était pour moi que j’écrivais, et puis au fur et à mesure, je me suis dit que ça pourrait servir, donc ça a pris valeur de témoignage, je me suis dit qu’il y avait peut-être des gens qui vivaient comme moi. Je pensais au lecteur, ça a peut-être été aidant parce que ça m’a obligé à expliciter ma pensée. En réalité, à cette table, je faisais face au lit dans lequel ma mère est décédée… et maintenant, je suis installé complètement à l’opposé, ce qui fait que je tourne le dos… parce que… parce que je ne sais pas quoi…
Tu tournes le dos depuis quand ?
L’Amant, je crois que je tournais le dos. Avec une marge d’erreur, Le Choix du fils a été écrit matériellement et psychologiquement face à ma mère ; je l’avais en tête, elle était là… elle est toujours là… et après, j’ai tourné le dos, oui, ce n’est pas parce qu’on tourne le dos à quelqu’un que la personne n’existe plus, mais on va vers autre chose…
On va vers le père ?
Dans mes trois livres, il y a une quête du père : à travers l’amant, je recherchais toujours le père. Mais au bout du compte, il reste manquant, à travers ma quête, je ne l’ai jamais trouvé, je ne peux pas m’identifier à lui… il reste en arrière-plan, c’est comme si la mère l’avait effacé.
Le Choix du fils, L’Amant du silence, L’Homme qui voulait enfanter… Peut-on parler d’une trilogie, et comment l’idée en est-elle apparue ?
Je n’ai jamais pensé au départ que ce serait une trilogie, mais j’ai l’impression qu’il s’agit bien d’un même cheminement en trois parties : Le Choix du fils, c’est essentiellement l’enfant, avec la mère, le père, ma relation ou mon manque de relation à mes parents, la famille, l’aspiration à retrouver la famille, mais aussi la révélation de mon orientation sexuelle. L’Amant du silence, c’est l’adulte complètement égaré dans ses amours, donc l’adolescent et ses amours, plutôt. L’Homme qui voulait enfanter, c’est l’homme, c’est vraiment la maturité… ça fait bien trois étapes ! On peut les lire dans le désordre, mais c’est quand même mieux de commencer par Le Choix du fils. Quand je l’écrivais, je savais qu’il y aurait un autre livre par rapport à Isis, l’amant passé sous silence, c’est un désir de réparation qui était là, le concernant ; et le troisième livre, ça a été un achèvement, on ne s’accomplit que s’il y a descendance ; mais je me demande si j’aurais mis en forme ce désir d’enfanter s’il n’y avait pas eu Killian… c’est aussi une identification à la mère. Je ne pourrai pas écrire sur ma mort (rires) mais ce serait le dernier s’il y en avait un quatrième (rires), un livre sur ma fin de vie…
« Je » se dénude, …. se perçoit renaissant. …. « Je » est entré dans la vie : moi. Ce projet que tu énonces dans Le Choix du fils, me semble s’appliquer parfaitement à L’Homme qui voulait enfanter où il s’agit peut-être finalement de « l’homme qui s’est enfanté ».
Je ne dirais pas que cette phrase était prédictive, mais c’était la réalité du moment, qui s’est confirmée tout au long des deux autres, ça ne s’est pas démenti, à cela près que j’ai peut-être repris certains vêtements pour ne pas totalement me dévoiler. Le « je » a pris d’autres formes ; dans le premier livre, c’est vraiment moi qui parle ; le fils se relie essentiellement à la mère ; le « Jean-Raoul » du deuxième, c’est quelqu’un qui se situe à un autre plan, de par le prénom, il essaie de se relier à la fois au père et à la mère ; et le troisième, c’est « je » enfanté, adulte dans la maturité. Dans Le Choix du fils, il se percevait renaissant, et dans L’Homme qui voulait enfanter, au bout des onze ans d’écriture, il est né, enfin, comme on peut l’être… Oui, j’ai l’impression de m’être moi-même enfanté, de m’être désincarcéré de mon passé, d’être devenu « moi » dans la mesure où on peut se connaître, d’être devenu, en fin de compte, homme. Je me suis accompli à travers mes bouquins, mes « enfants de papier »…
Ta famille élargie a-t-elle joué un rôle dans cet enfantement de toi ?
Au décès de ma mère, j’avais un besoin d’enracinement. J’étais seul, ma « racine pivot », comme on dit en botanique, n’était plus là ; donc je suis parti à la recherche de la famille, j’ai fait des recherches généalogiques, j’ai retrouvé la famille paternelle avec laquelle elle s’était fâchée, la famille maternelle avec laquelle elle s’était fâchée… Chacune a fait la part des choses entre moi et ce qui s’était passé avec ma mère, et donc, certainement que ma famille élargie a joué un rôle dans mon épanouissement, je me sens moins seul maintenant, même s’il n’est pas question de mes livres… : « On sait, on t’aime comme tu es, mais on n’en parle pas. » Ma famille élargie aurait pu prolonger l’enfantement, mais je suis finalement tout seul à gérer mon affaire ! Malgré le remembrement familial, je reste seul avec ce que je suis.
Quels liens fais-tu entre tes trois livres, quelles places respectives y occupent l’auteur, le narrateur, les personnages ?
Le Choix du fils, ça a vraiment été l’ouvrage fondateur. C’est tout moi, je suis à la fois l’auteur, le narrateur et le personnage, c’est purement autobiographique. L’Amant du silence, l’auteur, c’est moi, le narrateur, c’est Isis, et les personnages, c’est à la fois l’auteur et le narrateur… mais les deux sont masqués : Jean-Raoul et Isis. Le choix du prénom « Jean-Raoul » réunit en moi le père et la mère, puisque « Jean » est le prénom que mon père voulait me donner, « Raoul » est celui que ma mère m’a donné, mais aussi celui que mon père avait porté… avec le patronyme « Garnier », cela fait donc trois présences paternelles pour une présence maternelle… Ils sont masqués parce qu’on est vulnérable lorsque l’on dit ce que l’on est, autrui peut nous attaquer, et je me demande si dans ce deuxième livre, je n’avais pas envie de brouiller les cartes, pour qu’on ne sache plus bien qui j’étais. C’était aussi donner une autre forme à l’écriture, ça aurait été trop nombriliste de poursuivre sur le mode de l’autobiographie, et je n’avais plus envie de parler en terme de « je », donc c’est un autre qui me raconte. Dans L’Homme qui voulait enfanter, c’est aussi le cas… à chaque fois, le narrateur est quelqu’un avec qui j’ai eu des liens. Là, pour le personnage, Hergé, j’ai joué sur les initiales de l’auteur, R.G… et c’est vrai que, sans le vouloir, j’ai retrouvé le patronyme du père de Tintin ! (rires)
Sans le vouloir… on disait tout à l’heure qu’il n’y a pas de hasard ! Alors, est-ce que ça fait partie des choses qui ont un sens même si tu ne l’as pas voulu au départ ? Est-ce que « ça » parle ? En tout cas, avec Tintin, Hergé a lui aussi enfanté un fils de papier…
Oui… Mais le Hergé de L’Homme qui voulait enfanter va plus loin, de par sa tumeur, il enfante un substitut d’enfant, ou ce qu’il pensait être un enfant. Et puis il y a Aubin… Aubin, c’est l’enfant que je n’ai pas eu, le fils que je n’ai pas eu avec Killian, que je voulais avoir avec lui, et qu’il a eu dans une relation hétéro. Donc c’est triangulaire : le père, la mère, l’amant.
Raoul Garnier, R.G, Jean-Raoul… quelle serait l’identité dans laquelle tu te reconnaîtrais le plus ?
J’ai toujours cherché à associer le père et la mère. Sur ma carte d’identité, mon nom d’usage est DECOSSE, il s’agit du nom de ma mère. Dans l’idéal, j’aimerais porter le double prénom et le double nom : Jean-Raoul Garnier-Decosse. C’est malheureusement trop long.
Autobiographie, autofiction, fiction romanesque, quelle place respective donnerais-tu à ces trois sortes d’écriture dans ta trilogie ? Tu as bien situé Le choix du fils comme une autobiographie, le terme d’autofiction a commencé à apparaître à propos de L’Amant du silence, est-ce qu’il te convient, et enfin peut-on parler de roman à propos de L’Homme qui voulait enfanter ? A d’autres moments, tu disais que c’était paradoxalement sans doute le plus autobiographique des trois, parce que le plus proche de ta subjectivité…
C’est vrai que dans Le Choix du fils, c’est ma vie, c’est une autobiographie. Mais je préfère « roman autobiographique » pour L’Amant du silence ; « autofiction » est peut-être juste pour décrire la forme, mais pas le fond, qui est vrai ; alors que « roman autobiographique » rend mieux compte de la présence d’une vérité vécue au-delà d’un certain arrangement de forme, d’ un certain emballage… Quant à L’Homme qui voulait enfanter, il ne faudrait pas que le mot roman gomme la réalité de ce désir d’enfant, de ce désir d’être la mère, la réalité de cette admiration de la femme.
Oui, mais par exemple, Madame Bovary est un roman; pour autant, Flaubert dit « Madame Bovary, c’est moi ». Donc est-ce que L’Homme qui voulait enfanter est un roman ?
En partie, parce que ma relation avec Killian, ce n’est pas un roman ! L’Homme qui voulait enfanter, c’est vraiment moi aujourd’hui, homo vieillissant, homo sans descendance, homo séparé de sa mère mais qui l’a toujours admirée, qui veut être une femme, pas en terme de transgenre, mais être une femme de par ce qu’elle vit au niveau de la maternité que les hommes lui jalousent, ça, c’est moi ! En fait, L’Amant du silence et L’Homme qui voulait enfanter sont deux productions différentes mais qui entrent toutes les deux dans la catégorie du roman autobiographique. Si j’ai pu dire que le dernier était le plus autobiographique des trois, c’est parce qu’il décrit ce que je suis devenu aujourd’hui, il est plein de moi, plein de vérité… C’est vrai que c’est une histoire folle, mais un peu comme quelqu’un peut tomber fou parce qu’il n’a pas d’enfant…
Au risque de te demander d’entrer de manière très intime dans tes processus de création, les différents personnages sont-ils des facettes de toi ? Quelle est leur part d’existence charnelle ?
Je crois que ce sont des facettes de moi, ou des aspirations… Killian, Isis, Jean-Luc… ce sont des facettes de moi dans la réalité… ou fantasmées… Et c’est peut-être ce fantasme qui peut faire roman, éventuellement… Ils sont aussi un peu ce que j’ai voulu en faire, cela ne veut pas dire qu’ils se comportent obligatoirement comme ça…
Alors cette trilogie serait comparable aux trois pièces d’un puzzle dont tu te composerais ?
Trois pièces créées au fur et à mesure, au départ, il n’y a pas de puzzle…
Est-ce qu’il y a d’autres pièces qui nous sont encore inconnues y compris de toi-même ?
Je ne peux pas dire… les trois m’apparaissent maintenant bien bouclées… peut-être qu’il y en d’autres, qu’elles sont à écrire, mais je les ignore pour le moment. Est-ce que j’ai encore envie d’écrire ? Quand on écrit, il y a toujours le passé qui remonte, et on n’en finit pas.
Quel rôle joue la mort dans le processus de création pour toi, ou dans le désir d’écrire ?
Dans Le Choix du fils, c’est ma mère qui meurt. Dans L’Amant du silence, c’est moi qui « faille », qui a le souhait de mourir, parce qu’on ne sait pas très bien si Jean-Raoul s’est suicidé ; symboliquement, je crois que c’est de cela qu’il est question. Et dans L’Homme qui voulait enfanter Hergé échappe, mais il aurait fallu peu de choses pour que sous ma plume il meure, en tout cas le flirt avec la mort est abordé avec sa tumeur et avec ce qu’il pense être un avortement, on lui prend son enfant ; ce troisième livre, c’est quand même plus la mort de l’enfant, sous une forme ou sous une autre, c’est l’enfant qui meurt, et moi, je m’en réchappe.
Comme si la mort avait engendré la vie… mort de ton père, de ta mère, infarctus, infarctus, dé-vivre : est-ce que finalement ce ne sont pas ces traces de la mort qui t’ont fait écrire ?
Certainement, je pense qu’autrement, j’aurais écrit des nouvelles, mais ça n’aurait jamais été « je » ; j’avais à me délivrer de mon identité et à la livrer, c’est la mort de ma mère qui m’a permis de le faire ; ensuite, est venu le temps de la réparation par rapport à Isis, et finalement le temps de la parturition, de ce désir d’avoir un enfant, mais à s’en rendre malade et à en mourir. Je crois qu’il y a là une certaine mise en forme de ma mort, elle est vraiment au cœur de ces deux derniers livres ; en fin de compte, c’est un homme qui me tire de là-dedans, Killian qui m’accompagne – relayé ultérieurement par Jean-Luc – c’est pas comme si je récupérais mon père, mais c’est un homme qui me donne vie. Toutes ces morts ont engendré une certaine vie, mais sans exaltation, sans espérance ; je vis au jour le jour… je suis enchaîné par la fidélité à ma mère…. Et le sans homme !
N’as-tu pas d’autres projets d’écriture pour demain ? Y a-t-il d’autres formes littéraires qui t’attireraient ?
Non, il me semble avoir fait le tour de ce que j’avais à dire, il y a une sorte d’achèvement. En tout cas, je ne me sens pas attiré par d’autres formes littéraires, on, ou alors il faudrait vraiment que je me décentre de moi et que j’aie terminé mon cheminement ; peut-être pourrais-je aller vers le roman, mais à travers les personnages, ce serait toujours moi, c’est vrai, comme disait Flaubert : « Madame Bovary, c’est moi » !
L’écriture est-elle une activité agréable ?
Ça ne jaillit pas comme un volcan, j’écris surtout le soir, parfois deux ou trois lignes seulement, parce qu’il faut que je change le mot, parce que c’est pas ça… c’est très difficile de communiquer, cette recherche par l’écriture, c’était presque apprendre à parler. Ça dépend des passages, ce qu’on a à écrire c’est quelque fois douloureux ; mais oui, j’aime bien écrire, parce que comme je suis quelqu’un qui ne s’exprime pas très bien à l’oral, ça me permet d’aller préciser le terme. C’est agréable dans la mesure où ça me parle, mais c’est quand même une activité qui « bouffe », qui bouffe le temps ; l’écriture, c’est de tous les instants, dans le sens où quand on a pu jeter sur le papier, c’est le fruit d’une réflexion de plusieurs jours, et après, on modifie encore parce que c’est pas ça… et puis je trouve que ce qui est terrible dans l’écriture, c’est que quand on envoie le livre à l’éditeur, c’est un déchirement, c’est comme une dépression du post-partum ; pendant de très nombreux mois, toute activité a été centrée sur cette réalisation-là, et tout d’un coup, on en est dépossédé… et on ne sait pas ce que les gens vont en penser, le livre échappe un peu comme un enfant.
Est-ce que finalement le lecteur ne serait pas un peu le père des ouvrages dont tu es la mère ? On dit bien quelquefois que « c’est le lecteur qui fait le livre »…
Oui, oui, mais cela ne veut pas dire que la pensée de l’auteur et du lecteur se rencontrent toujours, et ça me chagrine. Le regard d’autrui me permet d’exister, mais en tant qu’auteur, pas en tant que « moi-je »… des gens peuvent être gênés par rapport à certaines scènes, par exemple dans L’Amant du silence… le regard d’autrui n’est pas forcément constructeur, il peut s’arrêter à la pornographie et refuser la transcendance de l’amour dès lors qu’il est question d’homosexualité.
Nous nous définissons par ce que nous avons été mais aussi par ce que nous aimons, c’est-à-dire par ce vers quoi nous tendons. Veux-tu pour terminer me dire ce que tu aimes, as-tu d’autres projets en dehors de l’écriture ?
Il y a un mal-être que je trimballe, que j’exprime soit directement, soit indirectement ; je n’ai pas forcément envie de vivre, enfin, je vis pour moi, mais sans projet particulier ; avec ces trois bouquins, j’ai clos quelque chose. Je n’ai pas de passion particulière pour quoi que ce soit. Je n’attends plus, je n’espère plus, mais il me reste le moment présent. Je prends la vie comme elle vient, je ne sais pas si c’est de la sagesse…
Peut-être m’inscrirai-je à Théovie, une formation biblique et théologique à distance de L’Eglise Protestante unie de France. Une manière de préparer mon passage et ma rencontre avec Le PERE « sublimé.» Oui, envisager « l’après-moi » sera, est – je le sens – mon ultime projet : l’aboutissement de ma quête.
Merci Elisabeth pour cette découverte !
L’Homme qui voulait enfanter.
Raoul Garnier. Éditions L’Harmattan. France
Présentation de l’ouvrage:
– https://aws.psycho-ressources.com/blog/homme-qui-voulait-enfanter/
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