La négation et l’oubli de la société
En France, on ne parle pas des prisonniers. On ne les montre pas, on ne les interviewe pas, on ne peut ni les voir ni les entendre. Il y a comme une chape de plomb sur leurs conditions de vie et sur leur ressenti. Leurs témoignages sont toujours recueillis auprès d’anciens détenus, jamais pendant leur détention.
J’ai moi-même rencontré beaucoup de difficultés à recueillir leurs paroles au sein de la maison d’arrêt. D’abord, à cause de leurs propres réticences à parler par crainte de représailles, ensuite parce que rien ne les autorise à le faire. Les entretiens et témoignages, je les ai recueillis oralement et retranscrits a posteriori.
La façon dont on parle de la prison, c’est seulement à travers les faits divers : évasions, mutineries, mouvements de surveillants, ou même des émissions américaines de reportage à sensation, où l’on glorifie l’institution et ses super héros, filmés en train de mater les détenus, lesquels sont présentés comme des rebelles, des êtres dangereux, des renégats, des insoumis, des violents.
Toujours est-il qu’une fois dehors, l’ancien détenu emporte sur lui une trace indélébile. La stigmatisation laisse sur lui une trace qui ne manque pas de me rappeler le marquage au fer rouge évoqué plus haut, y compris au sens propre quand il s’agit de tatouages réalisés par les détenus eux-mêmes pendant leur détention. Le « trou » béant laissé dans un CV par une période d’incarcération ne peut être masqué par aucun artifice. La résistance à l’embauche est d’autant plus totale que le monde du travail est en tension.
C’est exactement ce que m’explique Monsieur N.T. « J’avais pensé retrouver du travail, mais en réalité, il n’y a pas beaucoup d’ouverture. Mon passage en prison m’a revêtu d’un imper. Ce vêtement ne laisse pas passer la confiance avec mes anciens clients. Reprendre mon ancien métier ne dépend pas seulement de moi. Dès que les recruteurs apprennent que j’ai fait de la prison, ils me ferment tous leur porte. Même si aujourd’hui j’ai purgé ma peine et que je n’ai plus rien à me reprocher, les solutions sont nulles. » (…) « Je me suis présenté une première fois en expliquant ma situation, que j’étais un ancien détenu, que je venais de sortir de prison et que j’étais à la recherche d’un emploi. On m’a répondu qu’il fallait que je prenne rendez-vous avec un conseiller pour pouvoir être reçu. J’ai obtenu un rendez-vous cinq semaines après. Lorsque je me suis présenté, plein d’espoir après une attente qui m’avait parue interminable, on me dit que le conseiller avec lequel j’avais rendez-vous était absent et que la seule alternative était pour moi de reprendre un nouveau rendez-vous, encore cinq semaines plus tard, soit au total 10 semaines d’attente et mon rêve de travail qui vole en éclat ! »
Cet autre détenu m’explique sa descente aux enfers à cause de son alcoolisme au volant. « A mon arrivée en prison, j’ai décidé d’arrêter de fumer. Déjà, il m’est interdit de boire. Je suis récidiviste d’infractions routières à cause de mon alcoolisme. La première fois qu’on m’a arrêté, j’ai pris 9 mois avec sursis. J’en ai fait 4, puis j’ai commis une nouvelle infraction. Là, j’ai pris 1 an et ½. En prison, je pourrais acheter de l’alcool de contrebande mais je ne suis pas assez idiot pour dépenser mon argent de cette façon ! Ma femme est heureuse que j’aie arrêté de fumer. Mais elle est sûre qu’à mon retour, je n’aurai pas de boulot à cause de mon incarcération. » (…) « Je ne buvais pas chez moi, je buvais sur la route. J’étais routier. Avec 16 euros, je pouvais manger et boire à volonté. J’avais des problèmes familiaux, c’était tendu à la maison. » (…) « Mes habitudes étaient plus fortes que ma capacité de raisonnement. » (…) « Aujourd’hui, le temps s’est arrêté pour moi. Je me sens considéré comme un animal, je suis au plus bas de l’échelle. Je ne pensais pas que l’alcool pourrait me mener jusque là. Je ne savais pas que c’était aussi dangereux, aussi pernicieux. Je ne buvais jamais à la maison et boire sur la route m’a rendu un danger au volant. »
Quelle n’est pas ma surprise d’apprendre, à la fin de notre entretien, que ce Monsieur a une licence d’histoire. Quel gâchis !
Quant à ce quadragénaire, ancien chef d’entreprise, il ne cache pas son amertume face au manque d’engagement de son avocat : « Mon entreprise a totalement coulé. Lorsque je cherche à contacter mon avocat, il ne me répond même pas. Quand je me suis présenté pour la première fois devant le Juge, l’avocat n’avait pas fait son travail et bien sûr cela a eu une influence négative sur ma peine… J’ai carrément vendu ma voiture et d’autres biens pour pouvoir le rémunérer (19.000 euros !) et avoir une bonne défense, et pourtant… Je peux hurler et même tout casser ici, il ne répondra pas. Il ne me reste qu’une chose à faire : ici on me demande juste de me laisser oublier ».
Extrait du texte : « Yoga en Prison »
– https://www.psycho-ressources.com/bibli/yoga-en-prison.html
Par Richard Sada, Psychothérapeute, Maître Yoga, France
– https://www.psycho-ressources.com/richard-sada.html
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